En apparence, c'est une pizza comme les autres, mais pour le pizzaiolo qui l'a préparée, c'est un motif de fierté. Antonio Scorza, comme des dizaines d'autres commerçants et restaurateurs de ce petit quartier du centre de Naples, a décidé de dire non au «pizzo».

Le «pizzo», synonyme de racket, est une somme d'argent que la mafia locale, la Camorra, exige des commerçants, restaurateurs et autres entrepreneurs en échange de sa «protection», une pratique très répandue dans le sud de l'Italie, mais qui gangrène également le nord de la péninsule.

«Cela a été un choix difficile, c'est certain. Mais nous représentons une nouvelle génération de commerçants, d'entrepreneurs qui ne craint pas le pizzo», souligne Antonio Scorza, pizzaiolo et propriétaire de la «Locanda del Grifo» à Naples.

Depuis six mois, 300 commerçants installés autour de deux places du centre-ville ont décidé de refuser de payer le «pizzo» et porté plainte contre ceux qui les rackettaient.

«La vieille génération n'avait peut-être pas le courage de combattre, mais nous sommes jeunes. Il est temps de répondre», affirme M. Scorza, 31 ans, tout en reconnaissant que rejoindre l'association anti-racket n'a pas été facile.

Un cocktail Molotov a été lancé contre sa pizzeria à quelques heures de festivités marquant la «libération» du quartier de l'emprise de la Camorra, mais le jeune pizzaiolo affirme ne pas avoir été intimidé et ne pas avoir eu de nouveaux problèmes depuis.

«La peur était immense. Parce qu'ils te menacent toi, ta famille, et ça fait peur. Tu cèdes, même si tu ne peux pas te le permettre financièrement, tu t'endettes, et tu les paies, pour être tranquille, serein», raconte Raffaele Ferrara, propriétaire de l'épicerie Ferrara.

«Chaque fois qu'entre une personne au visage suspect, tu te dis «ça y est», même si c'est juste pour acheter un sandwich», ajoute l'épicier.

Ceux qui l'ont racketté pendant des années ont été arrêtés. Ils ont écopé de 9 ans de prison.

«Nous avons tous décidé d'arrêter de payer, nous ne pouvions pas continuer comme ça. Ils venaient deux-trois fois par an et demandaient de l'argent. Ils tiraient dans les jambes de ceux qui ne payaient pas, ou les tabassaient», affirme Salvatore Russo, un autre commerçant.

Les mafieux passaient généralement trois fois par an, demandant jusqu'à 1500 euros (2015 $) à chaque fois, une somme importante pour un petit commerçant en ces temps de crise.

La Camorra gagne des milliards d'euros avec le racket, le trafic de drogue, d'armes, de déchets et les abus dans la construction, comme l'a raconté Roberto Saviano dans son roman-enquête Gomorra.

«Si tout va bien, quand un entrepreneur porte plainte pour racket, dix ne le font pas. Et dans la majorité des cas, le rapport est de 1 sur 1000, voire 1 sur 10 000 dans certaines zones comme la Calabre», assure Tano Grasso, président de la FAI, la Fédération italienne anti-racket et anti-usure.

«On n'y arrivera que si on retrousse tous nos manches, et qu'on s'unit, citoyens, associations, comités, entrepreneurs. L'union et le nombre font la force», souligne Lello Iovine, président de l'association anti-racket Pietrasanta.

Il a baptisé ainsi son association en hommage à la première place de Naples qui s'est déclarée libérée du pizzo. M. Iovine a franchi le pas quand un homme est venu lui réclamer 50 000 euros (67 000 $) dans son hôtel.

«Cela a été un choc. Il m'a dit que je pouvais même payer tout de suite pour avoir l'esprit tranquille. Je suis allé immédiatement au poste de police pour porter plainte, mais pendant un bon moment je regardais si quelqu'un me suivait en sortant de chez moi», raconte M. Iovine.

«Maintenant, nous luttons et nous sommes soutenus, mais jusqu'à récemment, la tension sociale était forte dans le quartier en raison de la criminalité», se souvient-il, en notant que «beaucoup de zones de Naples souffrent encore».

Pour M. Grasso aussi, le mouvement «no pizzo» n'en est qu'aux prémices: les quartiers «libérés» ont «fortifié leur position et creusé un fossé pour se protéger, mais il en faudra bien plus pour gagner la guerre».