L'avenue des Champs-Élysées, où défilaient hier comme chaque matin une foule de touristes attirés par les boutiques de luxe, les restaurants et les cinémas, a changé depuis quelques mois.

La différence? Il n'y a pratiquement plus de mendiants, relève Kasia Wojtanek, qui travaille dans une boutique de souvenirs située à un jet de pierre de l'Arc de triomphe.

«Avant, il y avait beaucoup de femmes qui mendiaient ici, parfois avec leur fils. Certaines s'allongeaient sur le trottoir et demandaient de l'argent, d'autres circulaient avec des cartons sur lesquels étaient écrites des histoires tristes pour solliciter les passants. Maintenant il n'y a plus rien», affirme la vendeuse d'origine polonaise.

Selon elle, l'évolution de la situation est largement imputable à l'entrée en vigueur récente d'un arrêté de la préfecture de Paris interdisant toute forme de mendicité sur la célèbre artère.

Dans une boutique de vêtements voisine, Malga Lemaître est moins convaincue. À ses yeux, l'initiative n'a pas changé grand-chose à la situation.

Les mendiants et les vendeurs à la sauvette ont «plus peur qu'avant», mais ils persistent quand même, déplore-t-elle. «On ne peut rien faire pour contrôler ça», dit la vendeuse.

Bien que la préfecture refuse pour l'heure de dresser un bilan précis de la situation, elle vient de décider de procéder à l'identique pour les pourtours du Louvre et des galeries Lafayette, deux secteurs où la mendicité est marquée.

La mairie s'y oppose

La décision est dénoncée par le maire socialiste de Paris, Bertrand Delanoë, qui accuse les autorités policières de vouloir «combattre la pauvreté par les amendes et la répression».

Marseille s'est aussi dotée d'un arrêté similaire récemment, emboîtant le pas à plusieurs villes touristiques comme Chartres qui procèdent ainsi depuis plusieurs années.

Le Syndicat national des policiers municipaux estime que ces arrêtés permettent d'établir un «cadre juridique» utile pour lutter contre la mendicité agressive et ne ciblent pas la pauvreté. «Je n'ai jamais vu personne aller embêter un mendiant qui ne gêne personne», souligne le secrétaire général de l'organisation, Jean-Marc Joffre.

De nombreuses organisations caritatives dénoncent les arrêtés «anti-mendicité» comme une forme «de chasse aux pauvres». Emmaüs y voit un outil servant à stigmatiser «un peu plus encore les populations les plus précaires».

Les morts dans la rue, organisation traitant des sans-abri, pense que les élus devraient s'interroger sur leur responsabilité dans l'augmentation de la mendicité plutôt que de chercher à l'interdire.

La Ligue des droits de l'homme (LDH) a tenté à plusieurs reprises avec succès d'invalider des arrêtés de ce type devant les tribunaux. Mais beaucoup restent en place parce qu'ils ne sont tout simplement pas contestés, précise François-Xavier Corbel, du service juridique de l'organisation.

Pour être valables, ils doivent démontrer qu'il y a eu un trouble à l'ordre public et être limités dans le temps et l'espace.

Communautés ciblées

Certaines municipalités cherchent ainsi à cibler certaines communautés spécifiques, note M. Corbel, qui évoque le cas d'une municipalité du nord du pays ayant affiché publiquement le texte de son arrêté en bulgare et en roumain. «Difficile de ne pas comprendre qui est visé», dit-il.

Julien Damon, sociologue de Sciences Po qui a étudié le phénomène de la mendicité, confirme que les Roms sont devenus la cible prioritaire d'arrêtés qui visaient surtout, au début des années 90, de jeunes sans-abri avec des chiens.

Les élus, note ce spécialiste, cherchent d'abord et avant tout à répondre aux doléances de leurs citoyens et des commerçants en adoptant de telles mesures, qui seraient superflues en matière juridique. «C'est plutôt un acte politique qu'un acte juridique», dit-il.

M. Damon ne croit pas qu'il soit approprié de parler de «chasse aux pauvres», la France étant plus tolérante, selon lui, que les pays voisins envers les personnes en difficulté sociale.

L'efficacité des arrêtés ciblant la mendicité n'en demeure pas moins contestable puisque leur seul impact véritable est de «déplacer les problèmes ailleurs», conclut le sociologue.