Les élections législatives de dimanche en Russie continuent de semer la grogne dans l'immense pays nordique. Malgré des arrestations massives lundi et les avertissements des autorités qui ont banni les rassemblements politiques, les manifestations contre Vladimir Poutine et son parti Russie unie se sont poursuivies hier à Moscou et à Saint-Pétersbourg. Près de 500 protestataires ont été arrêtés, dont trois figures de proue de l'opposition. Et cela n'empêche pas le mouvement de contestation de s'étendre sur le web. La Russie s'apprête-t-elle à vivre son propre printemps arabe en ce début d'hiver? Les enjeux en quatre questions.

Q Que dénoncent les manifestants?

R Des fraudes alléguées lors des élections parlementaires de dimanche sont au coeur des manifestations. Internet semble avoir joué un rôle important dans la mobilisation. Un Russe de 33 ans, Yegor Duda, a mis en ligne une vidéo, tournée avec un téléphone cellulaire, dans laquelle on voit le responsable d'un bureau électoral en train de remplir des bulletins de vote à la chaîne. Ce clip a vite fait le tour des médias sociaux russes alors que le parti de Vladimir Poutine remportait un peu moins de 50% des voix. Ces mêmes médias sociaux ont permis de relayer les informations sur les manifestations de lundi et d'hier.

Q Les critiques des manifestants sont-elles fondées?

R Un rapport préliminaire de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) sur les élections de dimanche note que ces élections ont été entachées par la convergence grandissante entre l'État et le parti au pouvoir. «La compétition a été biaisée en faveur du parti au pouvoir comme le démontre le manque d'indépendance de l'administration électorale, la partialité de la plupart des médias et l'interférence indue des autorités étatiques à plusieurs niveaux», peut-on lire dans le document rendu public lundi. Les experts remarquent que même sans fraude, le parti Russie unie, qui a obtenu 238 des 450 sièges du Parlement russe, aurait fait bonne figure. «Les sondages des maisons indépendantes accordaient 53% à Russie unie. Mais dans le système poutinien, le fait de n'avoir pas obtenu de majorité simple aux élections législatives, c'est un tremblement de terre», estime Jacques Lévesque, expert de la Russie et professeur à l'Université du Québec à Montréal.

Q Qui sont les manifestants?

R Parmi les manifestants qui ont pris part aux rassemblements des deux derniers jours, on retrouve une grande partie d'habitués de ce genre d'événements. Tous les mois, des manifestations anti-Poutine se tiennent sur la place Trioumfalnaya à Moscou. S'y retrouve un mélange de partisans des organisations politiques libérales et néo-communistes. Immanquablement, des dizaines d'entre eux sont arrêtés. Hier, c'est sur cette même place que la principale manifestation a eu lieu, mais les petites foules habituelles de 200 ou 300 personnes étaient décuplées. La police estime à 2000 le nombre de protestataires. Les organisateurs à 10 000. Parmi les personnes arrêtées hier, on retrouve plusieurs vieux routiers de la politique russe, dont l'ancien vice-premier ministre russe Boris Nemtsov, chef du Parti libéral Parnas, Édouard Limonov, chef du Parti national-bolchévique et Sergeï Mitrokhine, chef du Parti Iabloko. Lundi, un blogueur anticorruption Aleksei Navalni a aussi été arrêté. Il a été condamné hier à 15 jours d'emprisonnement pour avoir «désobéi à l'autorité policière».

Q Peut-on s'attendre à ce que les manifestations donnent lieu à une version russe du Printemps arabe?

R Sur ce point, les experts ne s'entendent pas. Professeure de sciences politiques à l'Université McGill, Juliet Johnson s'attend à ce que le mouvement de protestation faiblisse, notamment par manque de leadership. «La plupart des Russes pensent que ces manifestations ne mèneront à rien. Il y a un manque de solutions de rechange. La plupart des partis de l'opposition ne sont pas efficaces», explique l'experte. Jacques Lévesque pense pour sa part que le mouvement de protestation risque de prendre de l'ampleur. «Il faudra voir s'il y aura plus de répression. Le pouvoir peut resserrer encore davantage le contrôle de la société ou s'attaquer au contrôle d'internet. Ce serait un effet tragique», dit-il. «Mais s'il y a l'équivalent du Printemps arabe, ça ne sera pas avant plusieurs mois», conclut-il. Les yeux sont maintenant tournés vers l'élection présidentielle de mars, véritable test de la popularité de Vladimir Poutine qui y briguera son troisième mandat.