À priori, rien ne laissait deviner en milieu de semaine sur la grande place de Mons que la Belgique traverse depuis des mois l'une des plus importantes crises politiques de son histoire.

Des employés de la ville, située à une soixantaine de kilomètres au sud de Bruxelles, s'affairaient à installer des cabanons couverts de branches de sapin pour marquer l'approche du temps des Fêtes sous le regard indifférent des passants.

Plusieurs d'entre eux s'arrêtaient un bref instant devant l'hôtel de ville pour toucher la tête d'une petite statuette en fer forgé représentant un singe, un rituel vieux de plusieurs siècles.

«Il faut faire un voeu», a souligné une résidante qui s'est esclaffée lorsque La Presse lui a demandé si elle avait réclamé qu'un nouveau gouvernement soit enfin formé plus d'un an et demi après la tenue des élections législatives fédérales.

L'impasse n'obsède pas la population, habituée de longue date aux complexes tractations qui rythment la vie politique du pays.

«J'espère qu'on est rendu au bout du processus parce qu'après je ne sais plus trop combien de jours de négociations, on finit par perdre la mémoire», a affirmé Bruno Pollra, un homme de 43 ans qui attendait sur la place avec une bande dessinée de Tintin sous le bras.

Premier ministre francophone

Après avoir frôlé l'abîme à plusieurs reprises, les partis flamands et francophones qui négocient depuis des mois la création d'un nouveau gouvernement mettaient les dernières touches hier à une entente exhaustive. Elle devrait permettre la formation officielle d'un nouveau gouvernement au début de la semaine prochaine. «C'est le bout du tunnel», a résumé la vice-première ministre Laurette Onkelinx.

Il est acquis que le prochain premier ministre du pays sera le socialiste Elio di Rupo, qui s'était vu confier le rôle de «formateur» du gouvernement par le roi belge Albert II. Ce sera la première fois en 30 ans qu'un élu francophone occupe cette fonction dans le pays à majorité flamande.

L'élu, qui a menacé de démissionner deux fois pour parvenir à ses fins, prendra le relais d'un gouvernement «d'affaires courantes» chapeauté par le premier ministre sortant Yves Leterme, qui avait fort à faire pour rassurer les marchés tout en ne disposant que de pouvoirs limités.

L'annonce la semaine dernière de la décote du pays par l'agence Standard and Poor's a donné une nouvelle impulsion aux négociations, qui piétinaient sur les questions budgétaires.

Compressions et «détricotage»

La coalition rassemblant partis socialistes, démocrates-chrétiens et libéraux francophones et flamands a finalement entériné des compressions pour 2012 de plus de 11 milliards d'euros (environ 15 milliards CAN) qui suscitent l'ire des syndicats. Une importante manifestation est prévue aujourd'hui.

Le plan budgétaire fait suite à un accord constitutionnel survenu en octobre qui prévoit une importante dévolution de pouvoir vers les régions, notamment en matière d'imposition.

«L'intervention de l'agence de notation a probablement fait en sorte que l'entente budgétaire survienne en quelques heures plutôt qu'en quelques jours. Mais on s'attendait à ce que les pourparlers reprennent rapidement», indique Jean Faniel, chargé de recherche au CRISP, institut de recherche belge.

L'entente globale, dit-il, constitue une étape de plus dans le «détricotage» de l'État fédéral belge, que les nationalistes flamands souhaitaient réduire à une «coquille vide».

Le chef du N-VA, Bart de Wever, qui avait remporté près de 30% des voix en Flandre lors de l'élection de 2010, tempête déjà contre les réformes constitutionnelles approuvées, les jugeant trop timorées. Sa formation, relève M. Faniel, a été exclue des négociations l'été dernier et entend multiplier les attaques dans l'opposition.

Olivier Godefroid, résidant de Mons qui travaille comme cadre dans une multinationale du secteur du transport, pense que l'entente marque un «petit pas» de plus dans la déconstruction de l'État fédéral et que la crise entre Flamands et francophones reprendra dès que les réformes institutionnelles convenues auront été mises en place.

«Il y a une telle dissociation entre les deux communautés que ça ne peut pas aller autrement. On ne se comprend plus, on ne se parle plus, on ne se connaît plus», relève-t-il.