Les dirigeants du théâtre Garonne, à Toulouse, ne prévoyaient pas susciter un vent de révolte en présentant une création du metteur en scène argentin Rodrigo Garcia. Mais ils ont dû rapidement se raviser.

Avant même que les acteurs de Golgota Picnic ne foulent la scène pour la première fois, les courriels et les messages agressifs se sont multipliés. Des centaines de catholiques indignés convaincus du caractère blasphématoire de la pièce ont demandé son retrait de la programmation.

«Le ton des messages était généralement imprécatoire, inspiré d'une pensée un peu archaïque, moyenâgeuse», raconte la directrice adjointe du théâtre, Bénédicte Namont.

Faute d'obtenir gain de cause, les opposants au théâtre ont décidé de manifester à chaque présentation en «récitant des chapelets de réparation». Lors de la dernière, dimanche, ils ont défilé en ville sous l'oeil attentif de la police derrière une bannière soulignant que «la France est chrétienne et doit le rester».

«Tout s'est mis en branle sur la base de rumeurs. La pièce a déjà été présentée dans plusieurs pays sans aucun problème», relate Mme Namont, qui impute cette cabale à une organisation catholique - l'Institut Civitas - réputée proche de l'extrême droite.

Crucifixion trash

Le mouvement indique, sur son site internet, qu'il oeuvre «à l'instauration de la Royauté sociale du Christ sur les nations et les peuples en général, sur la France et les Français en particulier». Selon son dirigeant, Alain Escada, Golgota Picnic est «un ignoble mélange de blasphèmes et de perversion».

Mme Namont souligne que la pièce - qui «met en scène une crucifixion tragique et trash» au dire d'un résumé promotionnel - a été vue par des journalistes de publications chrétiennes qui n'y ont rien trouvé d'insultant.

De toute manière, dit-elle, Rodrigo Garcia est libre comme tout créateur de mettre en scène ce qui lui plaît. Le délit de blasphème n'existe pas en France, alors que l'atteinte à la liberté d'expression «est sévèrement réprimée».

Les dirigeants du théâtre ont reçu le soutien de plusieurs personnalités politiques et culturelles, mais aussi de militants comme Pascal Nakache, qui a organisé une contre-manifestation lors de la dernière présentation de la pièce, à Toulouse.

«À force de mépriser les principes fondateurs de la République et de laisser le climat social se dégrader, on assiste de toute part à une résurgence de l'intolérance et du fanatisme», relève M. Nakache, qui dirige la section locale de la Ligue des droits de l'homme.

En plus d'exercer des pressions sur le théâtre Garonne, des catholiques furieux ont aussi manifesté au cours des derniers mois pour dénoncer une pièce de l'Italien Romeo Castelluci intitulée Sur le concept du visage de Dieu qui se déroulait devant une image du visage du Christ.

Au printemps, une photographie de l'artiste new-yorkais Andres Serrano, Piss Christ, représentant un crucifix plongé dans l'urine, a été détruite par des intégristes qui se sont introduits dans une galerie d'Avignon.

Printemps arabe, «automne catholique» ?

Sur son site internet, l'Institut Civitas relève, en faisant écho aux soulèvements en cours dans le monde arabe, que «l'automne catholique» est en marche dans le pays.

«C'est à un véritable sursaut chrétien que l'on assiste à travers toute la France en réponse à la christianophobie ambiante et, en particulier, aux spectacles blasphématoires promus avec la complicité de nombreuses institutions publiques», relève l'organisation.

Odon Vallet, spécialiste de l'histoire des religions, souligne que des incidents comme ceux survenus à Toulouse ne sont pas nouveaux. Il rappelle notamment l'attentat mené dans les années 80 contre un cinéma parisien qui présentait La dernière tentation du Christ de Martin Scorsese.

La crise économique en cours favorise la montée de l'intolérance et l'exacerbation du sentiment identitaire, relève-t-il. Tant les manifestations catholiques que les attaques récentes contre l'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, à la suite d'un numéro mettant en scène Mahomet, peuvent être liées à ce phénomène, selon lui.

Les scènes survenues à Toulouse risquent de se répéter à Paris puisque le théâtre du Rond-Point reprend Golgota Picnic à compter de la mi-décembre. Les dirigeants de l'établissement n'entendent pas non plus se laisser intimider, relate Mme Namont.

«La liberté de l'artiste ne se discute pas», conclut-elle.