Le gazoduc North Stream, nouvelle autoroute maritime du gaz entre la Russie et l'Europe via la Baltique, doit connaître mardi en Allemagne une inauguration solennelle, à la mesure de son importance stratégique.

La chancelière allemande Angela Merkel, le président russe Dmitri Medvedev, les premiers ministres français et néerlandais François Fillon et Mark Rutte, ainsi que le commissaire européen à l'Énergie Günther Oettinger ouvriront les vannes de la première conduite de ce serpent de métal de 1200 kilomètres, qui débouche à Lubmin, en ex-RDA.

Le gazoduc, qui d'ici la fin de 2012 sera doté d'une deuxième conduite, distribuera assez de gaz pour 26 millions de foyers en Europe.

Derrière l'infrastructure à 7,4 milliards d'euros, un consortium dominé par le géant gazier russe Gazprom, avec les entreprises allemandes BASF et EON, la néerlandaise Gasunie et la française GDF Suez.

North Stream doit permettre d'échapper aux litiges à répétition ces dernières années entre Moscou et l'Ukraine, où transite l'essentiel des importations européennes de gaz russe.

En plein hiver 2009, Kiev avait ainsi bloqué des livraisons aux Européens en guise de représailles contre Gazprom.

Au contraire des autres gazoducs, qui transitent aussi par les pays baltes et la Pologne, la nouvelle conduite est exclusivement maritime. Cela irrite les pays contournés, au point qu'un ministre polonais était allé en 2006 jusqu'à évoquer le pacte de non-agression entre l'URSS et l'Allemagne nazie.

La Suède s'est-elle inquiétée des conséquences écologiques ? Gazprom affirme que le gazoduc «ne produit aucun effet significatif sur l'environnement».

«Il y a eu des réticences, mais le bon sens a triomphé», assure Vladimir Grinin, ambassadeur de Russie à Berlin. «Avec la décision récente de l'Allemagne d'abandonner l'énergie nucléaire, ce qui signifie de plus grands besoins de gaz à moyen terme, les écailles sont tombées des yeux de beaucoup».

Bien avant ce virage antinucléaire, le gazoduc bénéficiait d'un partisan de poids en Allemagne: l'ancien chancelier Gerhard Schröder (1998-2005), aujourd'hui président du conseil de surveillance du gazoduc.

Restent les interrogations sur la dépendance énergétique de l'Europe.

«La Russie fournit 25% du gaz européen. Cette proportion ne va pas changer de manière significative après la mise en fonctionnement, car en parallèle la consommation augmente. Nous allons peut-être arriver à 30%», assure à l'AFP Jens D. Müller, chef adjoint de la communication du projet.

Il préfère parler de «dépendance réciproque en raison de la grande importance des ventes de gaz pour les finances publiques russes».

Claudia Kemfert, experte en questions énergétiques de l'institut allemand DIW, juge malgré tout qu'au lieu de parler déjà de troisième conduite pour North Stream, il serait plus intelligent de diversifier.

«Il y a des surcapacités de gaz dans le monde, pourquoi ne se concentrer que sur la Russie?», demande-t-elle, en évoquant notamment l'importation de gaz liquéfié.

Mais la volonté de diversification se heurte à l'influence grandissante de Gazprom, notamment en Allemagne, où il parraine un club de soccer de première division et, surtout, discute d'une coopération poussée avec le numéro deux de l'énergie RWE.

Or RWE est jusqu'ici partie prenante à un projet concurrent de Gazprom: celui du gazoduc Nabucco, qui doit apporter en Europe le gaz de la mer Caspienne.

«Le projet Nabucco est déjà enlisé, et avec le rapprochement entre RWE et Gazprom ses chances ont malheureusement encore baissé», constate Mme Kemfert.