Auréolé d'un parcours presque sans faute depuis sept mois au ministère des Affaires étrangères, Alain Juppé se pose en France en pilier de la droite au pouvoir, voire en recours pour suppléer Nicolas Sarkozy si ce dernier venait à ne pas se présenter à la présidentielle de 2012.

La traversée du désert de l'ex-premier ministre, 66 ans, condamné en 2004 à 14 mois de prison avec sursis et une année d'inéligibilité dans une affaire d'emplois fictifs, semble lointaine. Le «meilleur d'entre nous», comme disait Jacques Chirac, est revenu au gouvernement en donnant le sentiment qu'il n'avait (plus) rien à perdre.

Sur le plan intérieur, ses succès sur la scène mondiale alimentent sa bonne cote auprès des Français. Jeudi soir, il devait être la vedette d'une émission politique diffusée en heure de grande écoute, centrée sur les enjeux de société.

Le ministre cultive cette popularité en passant plusieurs jours par semaine à Bordeaux, ville dont il est maire. De là, il intervient sur tous les sujets, des primaires socialistes à la reconnaissance du mariage homosexuel.

Il a annoncé sa candidature aux législatives de 2012, mais le rêve qui l'habite bien davantage est d'accéder à la fonction suprême. En privé, ce scrutin est pour lui un sujet de prédilection. Officiellement, il se dit loyal à Nicolas Sarkozy, n'envisageant cette autre carrière que si ce dernier renonce.

«Si, pour des raisons qui aujourd'hui sont hautement improbables et que je ne souhaite pas, il n'était pas en mesure de se présenter, voilà, je tenterais ma chance», disait-il en juin.

Aujourd'hui, sur cette même question d'une éventuelle défection du président, sa cote est à la hausse, face à une image très dégradée de Nicolas Sarkozy, pour cause de crise économique persistante et d'affaires politico-judiciaires touchant plusieurs de ses proches.

Selon Anna Cabana, auteure du livre Juppé, l'orgueil et la vengeance dont des extraits sont publiés cette semaine par le magazine Le Point, le ministre serait mû par une haine farouche teintée de fascination à l'égard du président.

Au début de l'été, son nom était fréquemment avancé dans les médias pour être à nouveau premier ministre dans le cadre d'un second mandat de Nicolas Sarkozy. Il a dirigé le gouvernement de 1995 à 1997, période notamment marquée par une violente révolte sociale contre ses projets de réforme des retraites.

Cet automne, avec la perte par la droite de la majorité au Sénat, il n'est plus rare de voir des voix anonymes s'élever pour suggérer qu'Alain Juppé serait au printemps un bien meilleur candidat à la présidentielle que l'occupant de l'Élysée.

«S'il y a une chance sur dix millions qu'il y aille, il la jouera à bloc», a affirmé un de ses proches, le secrétaire d'État au Logement Benoist Apparu, cité jeudi par le journal Le Parisien.

Son retour en grâce a débuté fin 2010 par le ministère de la Défense. En mars, il a repris avec gourmandise les habits de chef de la diplomatie, déjà endossés entre 1993 et 1995. Après les parcours calamiteux de ses prédécesseurs, il a eu un boulevard devant lui, l'actualité le servant aussi pour redorer l'image de la France, en particulier dans le monde arabe.

Le règlement de la crise en Côte d'Ivoire a fait office de ballon d'essai. Réticent à une intervention militaire occidentale en Libye, il s'est vite rallié à l'activisme de Nicolas Sarkozy pour faire chuter Mouammar Kadhafi, et s'est aussi beaucoup dépensé sur le Proche-Orient, en vain jusqu'à présent.

Son lien direct avec le président lui confère une large liberté de manoeuvre. Il s'est permis récemment un voyage à l'autre bout du monde pour snober une visite officielle du président rwandais à Paris, Paul Kagame, avec lequel il entretient des relations exécrables.