Exit les voitures de luxe et le rythme effréné de la vie moscovite. Les Russes commencent à penser à leur bien-être spirituel. Après deux folles décennies de capitalisme, ils sont nombreux à sacrifier une carrière prometteuse à Moscou pour une vie paisible à la campagne ou sur les plages de l'Asie du Sud-Est.

Il y a deux ans, Nikolaï Astachov passait cinq heures par jour dans les embouteillages monstres de Moscou, simplement pour se rendre à son bureau, au centre-ville, et en revenir. Un jour, il en a eu assez.

Avec sa femme et sa petite fille, il a plié bagage pour s'installer à 300 km au sud de la capitale. «En hiver, il n'y a que huit maisons habitées dans notre village», souligne le créateur web de 32 ans. Depuis son déménagement, il a réduit de moitié les activités de sa petite entreprise et, du même coup, son salaire. Il consacre ses temps libres au club de discussion politique et au portail internet régional qu'il a lancés «pour favoriser le rayonnement de la société civile».

C'est après s'être longuement informé sur le downshifting - comme on dit même en russe - que Nikolaï a décidé de quitter la «vie inconfortable» de la capitale, polluée et surpeuplée. Ce mouvement né aux États-Unis et en Italie, aussi appelé slow life, prône une baisse du régime de travail au nom d'une meilleure qualité de vie. Il se distingue de la simplicité volontaire en ce qu'il vise non la consommation, mais la charge de travail.

Travail à distance

Le «runet» (l'internet russe) pullule de blogues et de communautés virtuelles de citadins devenus downshifters. Certains d'entre eux ont délaissé des postes de direction dans de grandes entreprises pour la dolce vitaà la campagne ou dans des stations balnéaires à l'étranger. Des graphistes, journalistes, traducteurs et autres professionnels ont tiré parti des avantages du travail par l'internet pour s'installer en Asie, où ils conservent un salaire moscovite sans le stress associé à la vie urbaine; d'autres profitent des prix exorbitants de l'immobilier dans la capitale russe et louent leur appartement à prix d'or pour habiter de grandes maisons en Thaïlande, en Inde ou en Indonésie.

Si les premiers downshifters russes étaient surtout des millionnaires, depuis environ deux ans, le mouvement gagne la classe moyenne, note Sofia Makeïeva, psychologue et auteure d'un livre sur le sujet publié au début du mois en Russie.

Pour l'instant, le downshifting «n'est pas encore un phénomène de masse et est surtout répandu chez les habitants des grandes villes comme Moscou et Saint-Pétersbourg», explique Mme Makeïeva. Il est toutefois le reflet d'une tendance plus large dans la Russie postcommuniste: «Au départ, les Russes ont dû s'habituer à l'idée occidentale du succès et de la carrière. Mais une fois qu'ils ont eu atteint ces sommets, ils ont découvert que l'avancement professionnel et les objets de luxe sont loin de garantir le bonheur.»

L'expérience n'est toutefois pas toujours concluante. En partant à la campagne, Nikolaï Astachov pensait bien se départir graduellement de son entreprise moscovite pour devenir paysan à temps plein au bout de quelques années. Même s'il ne regrette pas d'avoir fait le saut, il envisage tout de même de revenir habiter à Moscou dans un avenir proche. «En m'installant là-bas, je pensais que j'allais travailler deux jours et que, le reste du temps, j'allais pêcher, chasser, méditer, lire et me balader avec ma famille. Au bout de quelques mois, ça m'a ennuyé, confie le dynamique entrepreneur. J'ai compris que c'est un peu dommage de me priver totalement des progrès de la civilisation et de me freiner dans mes activités et mes ambitions.»