La France, qui croyait avoir fait le ménage dans ce domaine, est de nouveau secouée par une tempête d'allégations de financement illicite mettant en cause des ténors de la droite. Un intermédiaire officieux de l'Élysée, Robert Bourgi, a mis le feu aux poudres dimanche lorsqu'il a révélé qu'il avait livré personnellement des millions d'euros versés par des potentats africains désireux d'influer sur la politique française. On a annoncé à Paris hier l'ouverture d'une enquête préliminaire dans ce dossier explosif. Explications de notre correspondant.

Q Qui est Robert Bourgi?

R Avocat né au Sénégal, il a agi pendant des années à titre d'intermédiaire officieux entre l'Élysée et plusieurs chefs d'État africains qui le rétribuaient généreusement pour ses services. Il se présente comme l'héritier spirituel de Jacques Foccart, qui veillait dans l'ombre sur les relations de la France avec ses anciennes colonies à l'époque de Charles de Gaulle. Dans une entrevue accordée au Nouvel Observateur en 2008, il avait insisté sur le fait que l'Élysée devait faire preuve de réalisme dans ses relations avec ses clients africains, cautionnant au passage leur corruption. L'homme s'est aussi félicité publiquement d'avoir obtenu de Paris, en 2008, la mise à l'écart de l'ex-secrétaire à la Coopération Jean-Marie Bockel, qui réclamait l'assainissement des relations entre Paris et l'Afrique.

Q Que révèle-t-il aujourd'hui?

R Dans une entrevue accordée au Journal du dimanche, Robert Bourgi affirme qu'il a versé à l'ex-président français Jacques Chirac et à l'ex-premier ministre Dominique de Villepin des millions d'euros provenant de dirigeants africains. Ces sommes auraient servi illégalement au financement de leurs activités politiques de 1997 à 2005. Le «porteur de valises» affirme que le fondateur du Front national, Jean-Marie Le Pen, a aussi bénéficié des largesses de l'ex-président gabonais Omar Bongo, qui aurait soutenu plusieurs politiciens.

Q Pourquoi parle-t-il maintenant?

R M. Bourgi a fait sa sortie à quelques jours de la parution d'un nouveau livre du journaliste Pierre Péan intitulé La République des mallettes, qui traite du rôle de plusieurs intermédiaires, dont le sien. Ses détracteurs affirment qu'il cherche à régler ses comptes après avoir été récemment marginalisé par l'Élysée. Dominique de Villepin pense plutôt qu'il est en mission commandée pour le mettre hors circuit politiquement en prévision de l'élection présidentielle de 2012.

Q Le président français Nicolas Sarkozy est-il visé par les allégations de financement illicite?

R Bourgi assure que les versements illégaux provenant de dirigeants africains ont cessé lorsqu'il a commencé à travailler auprès de Nicolas Sarkozy, au milieu des années 2000. Un ancien conseiller de Jacques Chirac affirme que cela ne tient pas la route. «Qui peut croire sérieusement que ce système s'est arrêté net avec le nouveau président?», relève Michel de Bonnecorse. Le président doit aussi composer avec les révélations de l'affaire Bettencourt. Une ancienne comptable de la riche héritière de L'Oréal, Liliane Bettencourt, affirme qu'elle a fait verser 150 000 en liquide en 2007 pour soutenir la campagne électorale de Sarkozy, qui nie tout.

Q Comment réagissent les principaux intéressés aux allégations de Robert Bourgi?

R Chirac et Villepin y ont opposé des démentis catégoriques. L'ex-président, qui, pour des raisons de santé, a récemment été exempté du procès qu'il devait avoir pour des accusations de détournement de fonds, a annoncé qu'il porterait plainte en diffamation. Idem pour l'ex-premier ministre, qui parle de «fariboles» destinées à détourner l'attention des vraies histoires de financement occulte. Même démenti de Jean-Marie Le Pen, qui entend aussi porter plainte en diffamation. Les États africains concernés démentent aussi. Seul un ancien conseiller de l'ex-président de la Côte d'Ivoire Laurent Gbagbo a déclaré qu'un versement de plusieurs millions avait effectivement été effectué à Jacques Chirac en 2002.

Q Que dit l'opposition?

R François Hollande, favori pour l'investiture socialiste en vue de l'élection présidentielle, réclame une enquête en bonne et due forme relativement aux allégations de Bourgi. Le parquet de Paris a annoncé hier soir l'ouverture d'une enquête préliminaire. L'ex-candidate socialiste Ségolène Royal, battue par Nicolas Sarkozy en 2007, pense que l'affaire constitue une «nouvelle humiliation pour le pays sur la scène internationale». Elle promet de faire le ménage si elle accède au pouvoir. «On est là pour servir et non se servir», tranche la politicienne.