Robert Bourgi, pilier de la «Françafrique», a allumé un incendie en accusant dimanche Jacques Chirac d'avoir reçu des financements africains occultes, accusations reprises à Abidjan, alors que l'ex-président a annoncé qu'il portait plainte.

Dans le Journal du Dimanche, l'avocat franco-libanais, 66 ans, décrit avec luxe de détails des remises de fonds émanant de chefs d'État africains - «plusieurs dizaines de millions de Francs», «incalculable !» - qu'il aurait opérées entre 1997 et 2005 auprès de l'ancien président et de celui qui fut son secrétaire général et Premier ministre, Dominique de Villepin.

L'ex-numéro 2 du président ivoirien du président déchu Laurent Gbagbo a renchéri, en affirmant dimanche à l'AFP que quelque trois millions d'euros avaient été transférés d'Abidjan à Paris pour financer la campagne chiraquienne de 2002.

M. Bourgi «a parfaitement raison», a tranché Mamadou Koulibaly, actuel président de l'Assemblée nationale.

En fin d'après-midi, l'avocat de M. Chirac, Jean Veil, annonçait un dépôt de plainte pour diffamation.

L'étonnante confession de M. Bourgi coïncide avec la sortie d'un livre-brûlot du journaliste-enquêteur Pierre Péan La République des mallettes décrivant un tourbillon de commissions et rétrocommissions autour d'Alexandre Djouhri, ami de M. de Villepin.

M. Bourgi aurait commené la noria de «valises» africaines en mars 1997, «le jour de l'enterrement de mon maître Jacques Foccart», confie-t-il.

Jacques Foccart créa, sous de Gaulle, la Françafrique, système décrié de réseaux d'influence maintenus par Paris avec ses ex-colonies d'Afrique noire.

10 millions de dollars versés

«Par mon intermédiaire», «cinq chefs d'État africains - Abdoulaye Wade (Sénégal), Blaise Compaoré (Burkina Faso), Laurent Gbagbo (Côte d'Ivoire), Denis Sassou Nguesso (Congo-Brazzaville) et, bien sûr, Omar Bongo (Gabon) - ont versé environ 10 millions de dollars pour cette campagne de 2002», prétend l'avocat.

L'actuel ministre des Affaires étrangères Alain Juppé n'est pas épargné. «L'argent d'Omar Bongo a servi a payé le loyer pendant des années» de son club 89, accuse M. Bourgi.

Bourgi exonère Sarkozy

Pourquoi cet homme de l'ombre rompt-il son long silence ? «Je veux tourner la page du passé, un passé dont je ne suis pas très fier», explique-t-il.

Il est «scandaleux que M. Bourgi ait attendu que le président Chirac ne soit plus en mesure de se défendre pour soulager son âme délicate», a ironisé Me Veil, en allusion à l'anosognosie dont souffre l'ex-chef de l'État.

Dans des documents diplomatiques publiés via Wikileaks, M. Bourgi est décrit comme «un mercenaire uniquement préoccupé par son bien-être».

Souvent qualifié de conseiller officieux de Nicolas Sarkozy, M. Bourgi exonère le président qui «m'a demandé de travailler pour lui, mais sans le système de financement par "valises"».

Ce que n'a pas manquer de souligner Brice Hortefeux, proche de M. Sarkozy.

Au contraire, Michel de Bonnecorse, conseiller Afrique de Chirac, a assuré à Péan que Bourgi avait, avant 2007, déposé une mallette «aux pieds» de M. Sarkozy.

Comme il avait qualifié le livre de Péan de «fantasmes», M. de Villepin parle à propos de Bourgi de «fariboles», d'«écran de fumée», de «volonté de salir la présidence Chirac».

À droite, on s'étonne que M. Bourgi ne s'adresse pas à la justice.

Au FN, Marine Le Pen s'est empressée de parler de «République pourrie jusqu'en son centre».

Le PS a demandé l'ouverture immédiate d'une information judiciaire.

Fâché avec M. Chirac dont il fut un collaborateur, familier des capitales africaines, Jean-François Probst a traité M. Bourgi de «mystificateur».