La nouvelle directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), la Française Christine Lagarde, devra-t-elle mettre un terme de manière précoce à son mandat dans la controverse comme son compatriote et prédécesseur Dominique Strauss-Kahn, forcé de démissionner en mai par une retentissante affaire d'agression sexuelle?

La question se pose plus que jamais à la lumière des éléments considérés par la Cour de justice de la République (CJR) pour décider, la semaine dernière, de l'ouverture d'une enquête formelle à son encontre pour «complicité de détournement de fonds publics».

Le tribunal spécial, seul habilité à juger les ministres pour des actes commis dans le cadre de leurs fonctions, soupçonne l'ex-ministre des Finances d'avoir participé à une «action concertée» pour favoriser une entente à l'amiable très favorable à l'homme d'affaires Bernard Tapie.

L'ancien propriétaire d'Adidas réclamait depuis plusieurs années un dédommagement au Crédit lyonnais à la suite de la vente de son entreprise et se trouvait en conflit avec l'État après que celui-ci eut sauvé la banque de la faillite dans les années 90.

L'organisme chargé de gérer le passif de l'établissement bancaire a donné son aval en 2007 à un arbitrage privé avec l'assentiment des représentants de l'État, qui affirment avoir agi sur l'ordre de Mme Lagarde ou de son entourage. Le processus a été largement favorable à M. Tapie, qui s'est vu attribuer une somme de près de 300 millions d'euros.

Le site d'information Mediapart, qui a eu accès à la décision rédigée par la CJR, vient d'affirmer que son contenu est «accablant» et suggère que Christine Lagarde s'est impliquée «personnellement et de façon litigieuse dans le dossier».

Le document, dont le contenu a été dévoilé mercredi sur le web, relève qu'il existe «des indices graves et concordants faisant présumer que, sous l'apparente régularité d'une procédure d'arbitrage, se dissimule en réalité une action concertée» en vue d'octroyer à Bernard Tapie des sommes sensiblement plus élevées que celles qu'auraient pu accorder les tribunaux.

Mme Lagarde et son entourage auraient demandé aux représentants de l'État d'appuyer l'arbitrage privé, et la ministre aurait pris contact directement avec certains d'entre eux après la décision pour leur demander de ne pas demander son annulation. Et ce, malgré l'existence de «nombreuses anomalies et irrégularités», notamment l'existence de liens entre l'un des arbitres et M. Tapie.

Bien que les faits allégués risquent de déboucher sur des interrogatoires embarrassants, l'avocat de Mme Lagarde s'est réjoui de l'annonce de l'ouverture d'une enquête. Celle-ci permettra, assure Yves Repiquet, «de lever définitivement le soupçon abusivement porté contre Christine Lagarde par une poignée de députés d'opposition à des fins politiques».

Le Parti socialiste, qui a porté plainte dans cette affaire, soupçonne que l'arbitrage privé et le règlement en résultant étaient souhaités par le président Nicolas Sarkozy pour remercier Bernard Tapie de son appui durant la campagne présidentielle de 2007.

Le FMI a réagi laconiquement à l'annonce de l'ouverture de l'enquête par le tribunal spécial, relevant que Mme Lagarde «pourra remplir efficacement ses devoirs de directrice générale». Un éventuel procès, qui pourrait prendre des années avant de se concrétiser, constituerait une source d'embarras additionnelle pour l'institution financière internationale après la démission en catastrophe de Dominique Strauss-Kahn il y a quelques mois à peine.