Une «lumière blanche, un goût d'Apocalypse» lors de l'enlèvement. Son geôlier qu'il a rêvé d'«embrocher sur un porte-manteau». Les heures à penser à la «vraie vie pour ne pas crever». Hervé Ghesquière, journaliste français ex-otage en Afghanistan, raconte sa captivité.

Libéré mercredi dernier, ce reporter de la chaîne publique France 3, raconte avec une précision stupéfiante ses 547 jours de captivité avec Stéphane Taponier, au fond d'une vallée afghane, dans la province de Kapisa, à moins de 100 km de Kaboul.

«Je parlais à voix haute toute la journée. J'étais d'accord avec moi-même, enfin pas toujours. Tu te dédoubles, tu fais des projets... Si tu ne penses pas à la vraie vie, tu crèves».

Hervé pense à s'échapper, au début : «Ca me taraudait. J'ai pensé arracher un barreau. Je me suis mis des claques physiquement. Et j'ai soupesé les conséquences pour moi, pour Stéphane et Reza (leur interprète afghan), pour les négociations (...) Je me suis finalement persuadé de ne pas le faire».

La sortie du 30 décembre 2009 avait été «la mieux préparée» de toute leur mission en Afghanistan. Après trois semaines avec les troupes françaises, l'équipe de France 3 souhaite faire des images de l'«axe Vermont», une route au nord-est de Kaboul que l'armée souhaite goudronner pour décongestionner la capitale.

«On a une Corolla blanche (voiture la plus répandue en Afghanistan), on est habillés en Afghans avec des patous (couverture de laine portée sur l'épaule), des pakols (couvre-chef en laine)», raconte Hervé.

«Ce n'était pas une enquête d'investigation à proprement parler. Mais on voulait quelques plans, que ça ait de la gueule, que l'on ne voit pas seulement l'aspect militaire avec les soldats français».

Partis tôt le matin, Hervé, Stéphane, Reza et deux accompagnateurs afghans, filment la construction d'un pont. «Des images d'ouvriers, de chefs de chantier, très intéressant».

Ils se heurtent à un check-point de l'armée et de la police afghane, demandent s'il y a des «opérations en cours dans le coin». Les Afghans ne savent pas.

«On a appris deux semaines plus tard qu'on avait été donnés par un taliban infiltré au premier check-point».

Les journalistes avancent encore, rencontrent un blindé de la Légion française en faction. «Le légionnaire nous dit qu'ils n'ont pas été plus loin. On réfléchit, puis on avance et on filme le début de la route bitumée».

«On arrive à Omarkehil, il y a de la poussière, une lumière très blanche, très belle, un goût d'Apocalypse, quand on voit un homme hésiter à traverser».

Il se retourne, pointe sa kalachnikov. Deux talibans arrivent, puis d'autres.

«On s'arrête, on ne bouge plus. J'ai une kalachnikov sur la colonne vertébrale», se souvient Hervé. «Stéphane me dit: ¨Bon, et bien Bon Noël¨».

Après un «gymkhana dans le hameau» où les habitants, les enfants les prennent en photo, ils sont amenés dans une mosquée.

«Vous êtes des espions de l'armée française», leur signifie le mollah.

Dix-huit mois durant, les otages changent de maisons, de geôliers, de vallées. Des «cachots sordides», parfois, des «pièces grandes, lumineuses et glaciales».

En janvier et en juillet 2010, il parle par téléphone aux négociateurs français. «On va vous sortir de là très rapidement», lui dit l'un d'eux.

Pendant huit mois, il est seul. Ou avec «Dranak», son pire geôlier, frère aîné de Qari Baryal, le chef des talibans de la région.

«Je l'insultais en pensée tous les jours. Même les autres talibans ne l'aimaient pas».

«On a failli en venir aux mains trois fois».

La première fois, Dranak veut qu'Hervé tire le rideau de l'ouverture dans le mur. Le journaliste refuse. Dranak pointe sa kalachnikov. «Vas-y, tire, tes chefs ne vont pas aimer», lui balance Hervé. Le geôlier arme. «Vas-y, tire», répète Hervé. Finalement, Reza se lève et ferme le rideau.

La deuxième fois, Hervé a envie d'uriner. «Il fallait pisser depuis la maison, j'en ai eu marre. Je suis sorti dans la cour». L'Afghan lève sa kalachnikov pour le frapper. Hervé s'approche à «3 cm de son visage» et Reza traduit: «Si tu me touches, je te mets un coup de boule».

En juillet 2010, lors d'un repas, les deux hommes s'accrochent. «Dranak me prend par le col, me pousse contre le mur. On se serre, tremblant de rage». Le journaliste pense à le «soulever», et à l'embrocher «comme le héros du film Midnight Express» qui tue son geôlier turc contre un porte-manteau.

«On s'est relâchés, je me suis mis sous ma moustiquaire. Et on s'est reparlé quelques jours plus tard».