Ils délaissent habits chic et voitures de luxe, préfèrent les izbas de rondins, se mettent au bio, s'entichent de cuisine et passent leurs vacances en Russie profonde: les «bobos» apparaissent à Moscou et dans les grandes villes russes, bousculant les clichés sur les nouveaux riches.

Enrichie par les retombées de la manne pétrolière, repue de la flambée de consommation qui a suivi la fin du communisme, cette génération de trentenaires ou quadras diplômés s'est lancée à la recherche d'autres valeurs, qui s'apparentent à celles des «bourgeois bohème» (bobo) de l'Europe occidentale.

Les «bobos» russes se lancent aussi bien dans l'édition que dans l'ouverture de restaurants peu chers mais snob, de librairies à l'occidentale où l'on peut lire assis par terre en se servant du café. Ils fréquentent des lieux emblématiques à Moscou comme Vinzavod, Garage ou Krasny Oktiabr, d'anciens locaux industriels transformés en centres d'exposition branchés.

Banquier «très bien payé» dans les années 1990, Vadim Titov a renoncé au costume cravate, pour s'investir dans l'édition de livres pour enfants.

Diplômé de la prestigieuse Académie russe du Commerce, cet homme de 36 ans est aujourd'hui patron d'une petite maison d'édition dont les tirages ne dépassent pas 10 000 exemplaires.

Il se dit «satisfait» de son choix qui lui permet de «gagner suffisamment pour savourer la vie».

«Je ne trime pas comme d'autres et je peux passer l'après-midi dans un pub», dit-il avec un sourire.

Avec un groupe de copains d'université, Vadim «a traversé la moitié de l'Inde» et prépare un voyage au Népal.

Beaucoup de «bobos» russes sont pour leur part partis à la redécouverte de leur pays, explorant la province russe au volant de leur 4X4 avec un intérêt nouveau pour ses vieux monastères et ses villages reculés.

Professeur d'université de 29 ans, Alexandre Stakhanov a pour sa part ouvert avec deux amis une galerie de machines à sous de l'époque soviétique.

Il se déplace en trottinette ou dans une vieille Volkswagen, loin de l'engouement pour les grosses cylindrées partagé par nombre de Russes.

Pour le sociologue Alexeï Levinson, «il s'agit d'un nouveau phénomène social né à l'époque des pétrodollars et de la stabilité».

«La période de l'ascension sociale verticale est révolue et nombre de Russes aisés s'aventurent désormais sur d'autres voies», explique-t-il à l'AFP.

«Il s'agit d'un processus normal, l'argent revêt les habits de la culture», résume le sociologue.

Cette nouvelle tribu, qui se reconnaît dans des magazines culturels branchés comme l'hebdomadaire Afisha, et se retrouve dans des festivals de musique ethnique ou de cinéma d'auteur, se lance également avec enthousiasme dans des projets collectifs qui en appellent à la citoyenneté.

«Nous avons passé notre week-end à ramasser des ordures sur une berge de la Volga», racontait début juin Dmitri Sokolov-Mitritch, rédacteur en chef adjoint de l'hebdomadaire Rousski Reporter, relatant ses loisirs avec des amis hommes d'affaires, architectes, ou professeurs.

«L'âme en appelle aux actes simples», ajoutait-il avec philosophie.

Evguéni, président d'une grosse société de conseil juridique, 42 ans, dit de son côté vouloir abandonner sa carrière pour devenir juge, un poste qui ne lui rapportera pas même un cinquantième de son revenu actuel.

«D'ici dix ans, j'espère disposer d'assez d'argent pour me permettre de réaliser ce rêve de jeunesse», dit-il.

Sa femme Natacha, 46 ans, ne rêve que de laisser son entreprise à sa jeune adjointe pour créer un orphelinat privé.