Comme un spectre revenant du passé, le Galeb, le yacht particulier du dirigeant socialiste yougoslave Tito a exposé temporairement des oeuvres autrefois mises à l'index par les régimes autoritaires du XXe siècle aujourd'hui disparus.

«Nous cherchions un endroit qui attire et qui soit l'antithèse des oeuvres présentées», explique Branko Franceschi, le commissaire de l'exposition «Dans l'impasse», pour expliquer pourquoi des oeuvres ayant défié les régimes autoritaires du XXe siècle se retrouvent exposées dans le yacht du dirigeant communiste.

Le Galeb (la Mouette), un bâtiment de 117 mètres de long, mouille dans le port de Rijeka, sur les rives croates de l'Adriatique.

«Nous nous sommes rendu compte que le Galeb était parfait. Construit en 1938 dans l'Italie de Mussolini, une société totalitaire qui a marqué la première moitié du siècle dernier, le navire a acquis une notoriété mondiale en devenant le bureau flottant du maréchal Tito, dans un autre régime totalitaire», explique M. Franceschi.

Photos, affiches, livres, magazines, toutes les oeuvres exposées du 4 au 19 juin ont été confisquées ou interdites, ou ont valu à leurs auteurs les pires ennuis, tracasseries, pertes d'emploi ou des poursuites.

Elles cultivent souvent cet humour allusif que tout le monde savait décrypter et savourer dans le monde socialiste: ainsi cette étoile, symbole du socialisme, dans la neige, qui est condamnée bien sûr à fondre et à disparaître (Hongrie), ou ce drapeau yougoslave couvert de petits rasoirs, pour rappeler la censure ou la chasse à tous les comportements considérés comme déviants.

Les oeuvres proviennent d'ailleurs principalement de l'ex-Yougoslavie de Josip Broz Tito, mais aussi des pays de l'Europe centrale socialiste, de l'Union soviétique et du Japon de l'entre-deux-guerres.

Les organisateurs voulaient couvrir l'essentiel du XXe siècle, depuis 1909, un clin d'oeil à l'année du lancement du Manifeste du Futurisme, texte de rupture artistique et de célébration de la technologie au début du XXe siècle, jusqu'à 1989, l'année de la chute du Mur de Berlin.

Les oeuvres, issues d'une collection d'avant-garde privée, «ont été créées en opposition aux régimes totalitaires, et particulièrement aux systèmes politiques et sociaux que représente (l'histoire du) Galeb», relève Branko Franceschi.

Mais l'ancien «bateau de la paix», comme s'appelait le Galeb sous Tito, n'est plus aujourd'hui que l'ombre de lui-même.

Des années de négligence ont fait de ce bâtiment qui fut fastueux une épave rouillée, comme le symbole d'un pouvoir autoritaire disparu. Avec à son bord des oeuvres interdites par des régimes aujourd'hui évanouis.

Chef de file des non-alignés, des pays qui refusaient d'appartenir à un bloc ou à un autre pendant la guerre froide, le maréchal Tito, qui dirigea la Yougoslavie de 1945 à 1980, accueillit à bord du Galeb plus d'une centaine de dirigeants tels que Nikita Khrouchtchev, Mouammar Kadhafi et Indira Gandhi ou des vedettes du cinéma comme Elizabeth Taylor et Richard Burton.

«Ce bateau était exceptionnel», confie le capitaine Zeljko Matejcic. «Il a une ligne fantastique, des moteurs qui fonctionnent toujours. C'est dommage qu'il soit attaqué par la rouille. Il a une histoire en lui-même et pas seulement en raison de Tito», poursuit le marin, très peu sensible aux oeuvres exposées.

Construit au départ pour le transport de bananes, le Galeb a été transformé en croiseur auxiliaire par les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale.

Coulé pendant le bombardement de Rijeka par les Alliés en 1944, il a ensuite été renfloué et restauré pour devenir le yacht présidentiel de Tito.

Rijeka l'a racheté en 2009 et le bâtiment fait partie aujourd'hui du patrimoine culturel de la Croatie.