Pendant neuf heures, il est resté immobile au milieu des cadavres. La nuit tombée, Mevludin Oric s'est enfui, alors que les hommes de Ratko Mladic pensaient s'être assurés que tout le monde était bien mort.

Ce rescapé du massacre de Srebrenica est revenu pour la première fois jeudi sur l'un des sites où 8000 hommes et jeunes garçons musulmans furent exécutés par les forces bosno-serbes en juillet 1995 en Bosnie.

Il a emmené avec lui sa fille aînée, Merima, âgée de 17 ans. Il voulait qu'elle sache ce qui s'est passé là-bas, et il veut que tout le monde soit au courant. Il souhaite également témoigner contre Ratko Mladic, l'ancien chef militaire des Serbes de Bosnie, qui a comparu pour la première fois vendredi devant le tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) à La Haye après son arrestation le 26 mai en Serbie.

«Il me tarde de regarder dans les yeux de cet animal», lance cet homme maigre de 42 ans, les yeux brillants après une matinée pendant laquelle il était constamment au bord des larmes.

Mevludin Oric, un soldat musulman bosniaque capturé par les Serbes alors qu'il tentait de fuir à travers bois, est l'un des quatre hommes connus pour avoir survécu au massacre de Srebrenica. Tous ont enduré l'épreuve épouvantable de faire le mort pendant que les troupes serbes arpentaient une prairie couverte de sang, achevant d'une balle dans la tête tous ceux qui montraient encore des signes de vie.

Alors que des militaires traînaient son corps, Mevludin Oric s'est fait piquer par des fourmis, mais il n'a pas osé bouger. À proximité, un vieil homme suppliait pour qu'on l'épargne: «Les enfants, nous n'avons rien fait. Ne nous faites pas ça». Cela n'a pas suffi. Il a été abattu.

Peu avant d'être exécuté, le cousin de Mevludin Oric, Hars, a pris sa main et lui a dit à voix basse: «ils vont tous nous tuer». Quand la fusillade a débuté, Oric s'est jeté à terre, alors que Hars tombait sur lui, gémissant.

À un moment, Oric a vu un soldat serbe marcher dans sa direction. Le soldat s'est arrêté pour tirer une balle dans la tête d'un homme, puis a avancé vers lui. C'est mon tour, a-t-il pensé.

«J'ai fermé les yeux», a confié Oric, en regardant Merima, «et j'ai pensé à toi et à ta mère. Et pendant quelques secondes avant le coup de feu attendu, je me suis demandé comment c'était au paradis, ou en enfer».

Le coup de feu n'est jamais venu. Mais il a fallu quelques heures de plus pour que Oric soit tiré d'affaire.

Alors qu'il sillonnait la prairie jeudi, Oric se rappelait des endroits où il se trouvait alors. «C'est ici que j'étais couché, et cet endroit est souillé de sang», lance-t-il.

«J'aimerais pleurer, ajoute cet homme qui travaille aujourd'hui dans le bâtiment, vivant avec sa mère et ses trois filles dans le centre de la Bosnie. Mais il y a quelque chose dans ma gorge qui m'empêche de pleurer.»

Vers minuit, les coups de feu ont cessé et les Serbes sont partis. Les bras et les jambes d'Oric étaient engourdis, mais il a réussi à déplacer le corps de son cousin et à se lever. Un clair de lune brillait au-dessus du champ de corps. Il a alors vu une ombre approcher.

«C'était l'ombre d'un homme comme un fantôme, raconte-t-il. D'abord, j'ai cru que c'était un soldat qui était resté de garde.» Mais c'était Hurem Suljic, un maçon musulman bosniaque, blessé à la jambe, qui avait aussi survécu. Suljic s'est approché et a demandé, «Es-tu blessé?». Oric a répondu que non.

Regardant autour d'eux, ils ont vu d'autres survivants, mais qui, grièvement blessés par balle, allaient mourir. Oric et Suljic sont passés par-dessus les corps et se sont dirigés vers la forêt. Leur périple a été difficile parce que Suljic était blessé à la jambe. Par moments, Oric dit avoir dû porter son compagnon, plus âgé que lui, sur son dos. Quatre jours plus tard, ils ont traversé un champ de mines sur la ligne de front et ont rencontré des soldats bosniaques.

Avant de se rendre à Srebrenica jeudi, Oric a emmené Merima au gymnase de l'école où lui et plusieurs centaines de prisonniers musulmans bosniaques avaient été détenus par les forces serbes avant le massacre. Oric a assuré que Mladic s'y trouvait ce jour-là, inspectant les prisonniers quelques minutes avant qu'ils ne montent dans des camions les conduisant à l'endroit où la plupart d'entre eux allaient être exécutés. On leur avait dit qu'ils seraient échangés avec d'autres prisonniers. Mais les hommes avaient des doutes parce qu'ils entendaient des coups de feu autour d'eux.

Pendant qu'Oric et sa fille faisaient le tour du site, des gens vivant dans les maisons environnantes, dans cette région majoritairement serbe, ont crié: «Laissez Mladic partir!»