Les témoignages de familles victimes de trafic de bébés ne cessent de s'accumuler depuis quelques mois en Espagne. D'abord réticents, plusieurs procureurs ont aujourd'hui ouvert des dossiers qui pourraient déboucher sur des accusations criminelles.

Emilio Silva, qui chapeaute l'Association pour la réhabilitation de la mémoire historique, note que la lenteur de la justice reflète le fait que la classe politique espagnole n'est pas vraiment pressée de se pencher sur les abus franquistes.

Cette période demeure largement taboue, souligne M. Silva, qui milite pour faire exhumer les dépouilles des victimes des milices franquistes, enterrées à la va-vite dans des fosses communes à l'époque de la guerre civile.

C'est aussi en fouillant le sol que Casimira Morillas, de Valence, espère répondre aux questions qui la taraudent. Cette femme de 65 ans a donné naissance par césarienne à une fille en 1983. La clinique a déclaré le jour même qu'une importante malformation l'avait emportée.

«Je ne l'ai vue ni morte ni vivante parce que j'étais sous anesthésie, mais mon mari l'a vue. Elle était normale», assure Mme Morillas, qui a porté plainte récemment. Les doutes du couple, qui n'a pas assisté aux funérailles, ont été alimentés par un appel anonyme les informant que leur fille avait été «volée».

«Pour l'instant, nous n'avons pas de preuves concluantes. La preuve, c'est seulement en ouvrant la tombe que nous pourrons l'avoir», dit Mme Morillas

Manuela Gonzalez Marquez, 55 ans, qui vit non loin de Madrid, ne peut espérer trouver de réponses de cette façon puisque la caisse censée contenir la dépouille de la fille à laquelle elle a donné naissance en 1979 a été déplacée dans une fosse commune.

Comme plusieurs autres personnes, elle relate que l'enfant semblait normal, qu'une religieuse l'a avisée de sa mort dans des circonstances suspectes et que le couple n'a pas voulu regarder le contenu de la caisse avant les funérailles.

Son mari, Bartolome, refusait de croire à la possibilité que le bébé ait pu être volé avant que les récits ne se multiplient dans les médias.

Aujourd'hui, Mme Gonzalez Marquez aimerait que la police interroge le médecin responsable de la clinique où elle a accouché. Elle-même dit qu'elle ne pourrait pas le faire.

«Si je le voyais, je lui sauterais dessus», dit-elle.