Les Irlandais étaient appelés aux urnes vendredi pour des législatives en forme d'exutoire à la crise, avec pour effet attendu la sanction du gouvernement sortant victime du ressentiment suscité par le plan international de sauvetage de l'île, aux conditions souvent jugées punitives.

«Ils vont se faire botter les fesses», résume Brendan Buckley, bravant un crachin entêtant sur le chemin d'un bureau de vote du nord de Dublin. «C'est de leur faute, ce qui s'est passé. Ils le méritent», ajoute le fonctionnaire de 47 ans.

Quelque 3,1 millions électeurs ont commencé à voter à 07h00, pour un scrutin qui devrait consacrer le naufrage du «Taoiseach» (Premier ministre) Brian Cowen, première victime de la crise de la dette en Europe, et de son parti, le Fianna Fail, qui règne sur le pays depuis 14 ans.

Un immense «Votre jour de revanche» barre en lettres rouges la Une de l'Irish Daily Star. L'Irish Sun est tout aussi direct: «Le temps est venu de se débarrasser de ces ripoux qui ont précipité le pays dans la faillite».

L'ensemble des sondages s'accordent à prédire un naufrage du Fianna Fail (centre), qui a longtemps dominé l'histoire politique irlandaise. Les «Soldats du destin» (traduction de son nom en gaélique) sont tenus pour responsables des excès de l'ancien «tigre celtique»: «Beaucoup pensent que leur politique a contribué à la crise et qu'ils doivent donc être châtiés», explique à l'AFP Michael Marsh, politologue au Trinity College de Dublin.

La formation paie également son soutien au plan de sauvetage signé fin novembre avec l'Union européenne et le Fonds monétaire international pour un montant de 85 milliards d'euros.

Le gouvernement avait accepté ce programme avec réticence, pliant sous le poids d'un déficit public astronomique (32% du Produit intérieur brut en 2010). Mais l'appel à l'aide de l'étranger a meurtri la fierté nationale, exacerbée dans un pays à genoux.

Pour autant, les sages irlandais ne sont pas prêts à la révolution: c'est une sorte de parti siamois, le Fine Gael, également centriste, qu'ils s'apprêtent à porter au pouvoir. Surfant sur le vif mécontentement populaire qu'a suscité le plan d'aide, Enda Kenny, chef du Fine Gael, exige une renégociation de ces conditions les plus controversées, et en particulier du taux d'intérêt qu'il qualifie de «punitif».

Dans un pays exsangue où sont réapparus les démons du passé - chômage record et exil économique -, Enda Kenny s'engage également à faire redécoller l'économie. «Des milliers de mères et de pères regardent leurs enfants s'envoler vers Sydney ou Vancouver» (en Australie et au Canada), a-t-il dénoncé jeudi, dans son discours de clôture de campagne. «Je vous demande de traduire votre colère en action et de voter pour notre plan, qui remettra l'Irlande sur pied», a affirmé l'ancien instituteur de 59 ans.

Le discours fait mouche auprès de la population: les sondages créditent le Fine Gael de 38 à 40% des intentions de vote. Mais cela devrait être  insuffisant pour obtenir une majorité absolue. Le parti devrait ainsi former une alliance avec des indépendants ou avec le Labour, une formation de gauche avec qui il s'est déjà allié par le passé et qui est créditée d'environ 18% des voix.

Mais quel qu'il soit, le nouveau gouvernement aura «les plus grands défis à relever», avertit l'Irish Examiner. «Cela restera le cas même si nous pouvons changer les conditions du plan de sauvetage international».

Les bureaux de vote ferment à 22h00. Les premiers résultats officiels ne sont pas attendus avant samedi soir. Un sondage réalisé à la sortie des bureaux de vote sera cependant publié le même jour à 08h00.