Après le jasmin, la frite. L'aliment phare de la gastronomie belge est aujourd'hui le symbole d'une révolution organisée par les associations citoyennes et étudiantes du pays. La révolution de la frite marque aussi le 249e jour sans gouvernement de la Belgique, qui bat ainsi le record détenu jusque-là par ... l'Irak.

«Au bout de 249 jours, on avance dans la scission linguistique de notre pays. Et les étudiants ne sont pas d'accord», explique Nicolas Debue, représentant étudiant de l'Université Libre de Bruxelles (ULB). Francophones et Flamands uniront leurs forces à Bruxelles, Gand, Louvain, Louvain-la-Neuve et Liège pour une révolution placée sous le signe des happenings et baraques de frites. «En Belgique, on a toujours eu une certaine forme d'autodérision. Quand on voit les crises politiques, on finit plus par en rire et dédramatiser la situation», dit-il.

Huit mois après leur élection, les parlementaires n'ont toujours pas trouvé de terrain d'entente pour former un gouvernement. La gestion quotidienne du pays est assurée par le gouvernement sortant, appelé le gouvernement des affaires courantes. «La Belgique n'a jamais été aussi bien administrée», dit, sans ironie, Nicolas Debue. Si le blocage s'est déjà produit dans le passé, c'est la première fois qu'il se prolonge aussi longtemps. «Pour la première fois, le gouvernement d'affaires courantes va devoir voter le budget», explique Jean-Benoît Pilet, professeur de sciences politiques à l'UBL.

La crise a déjà usé un informateur, un préformateur, deux médiateurs, un clarificateur et un conciliateur, successivement appelés en renfort par le roi. Non seulement Flamands et francophones s'opposent sur l'autonomie à accorder à la Flandre, mais ils peinent à réconcilier leurs sensibilités politiques: le coeur des Flamands penche à droite, celui des francophones à gauche. Ces divergences rendent de moins en moins envisageable la formation d'un gouvernement de coalition ou un déblocage rapide.

«Comme des siamois»

Tout aussi inenvisageable est la scission de la Belgique, croit toutefois M. Pilet. «Les Flamands et les francophones sont comme des enfants siamois: ils ont deux corps bien distincts, mais partagent Bruxelles, le coeur économique de la Belgique, qui est en la Flandre, mais où 85% de la population est francophone. On ne peut pas séparer les Flamands et les francophones, et ils sont condamnés à vivre ensemble.»

Pendant ce temps, l'impasse inspire de nombreuses saillies humoristiques. Ainsi, la révolution de la frite a-t-elle été précédée d'une grève du sexe, lancée par une sénatrice, puis d'une grève de la barbe, inspirée par le comédien Benoît Poelvoorde. Pendant ce temps, un site internet (lerecorddumonde.be) vante l'avance de la Belgique sur l'Irak et la Côte d'Ivoire dans la catégorie pays sans gouvernement. «C'est un des éléments intéressants du moment», estime Jean-Benoît Pilet. La population belge, volontiers qualifiée d'apathique, fait preuve d'un inhabituel dynamisme avec ces protestations ludiques, croit-il. Mais il faudra plus qu'une révolution de la frite pour sauver la Belgique. «Ces initiatives suscitent un grand intérêt, mais les Belges ne se mobilisent pas beaucoup dans la rue. Ils en ont marre, ils sont prêts à cliquer, mais peut-être pas à descendre dans la rue.»