Peureux, «enfants gâtés» ou juste réalistes? Les Français, qui vivent dans l'un des pays les plus riches, sont pourtant les champions du monde du pessimisme, selon un récent sondage qui illustre une angoisse face à l'avenir et une crainte du déclassement.

«Il y a une morosité, un vrai phénomène de dépression clinique», juge ainsi le politologue Dominique Moïsi.

Cet expert à l'Institut français de relations internationales (IFRI) est circonspect sur un sondage BVA-Gallup allant jusqu'à indiquer cette semaine que les Français sont plus pessimistes que les Afghans ou les Irakiens. Mais il estime que l'enquête illustre tout de même une réalité.

«Les Français ont très peur, ils ont le sentiment que le présent est moins bien que le passé, que le futur sera pire que le présent, que leurs enfants ont une vie beaucoup plus difficile que la leur», dit-il.

En cause, selon de nombreux commentateurs, l'État-providence, auquel les Français sont traditionnellement très attachés et qui n'est plus perçu comme protecteur face à la crise.

«Les Français se comportent face à leur État comme des adolescents face à leurs parents, avec la révolte d'un côté et la volonté de protection toujours plus grande de l'autre», analyse encore l'auteur de La géopolitique de l'émotion.

Le pessimisme des Français, grands consommateurs d'antidépresseurs, n'est pas nouveau. Mais cette tendance est exacerbée, sur fond de montée du chômage et dans un contexte social tendu, comme l'a montré la forte mobilisation à l'automne dernier contre la réforme des retraites.

«On sent que les gens sont usés psychiquement, ils sont énervés, stressés, inquiets», constate le médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye (UMP, droite au pouvoir), chargé de défendre les citoyens contre les abus et les injustices. Pour lui, le pessimisme touche surtout les classes moyennes, qui côtoient de plus en plus la précarité de l'emploi et redoutent le déclassement.

«Le mal-vivre est en train de l'emporter sur le bien-vivre à la française; les Français sont des jouisseurs, des épicuriens (...) et on voit un décalage entre les petits bonheurs individuels et le mal-vivre collectif», constate-t-il.

Si son système de protection sociale a permis à la France de subir moins violemment la crise qu'ailleurs, le pays tarde à rebondir.

«Même si la récession qu'on a subie en 2009 est presque deux fois moindre que celle de l'Allemagne, on n'est pas sorti de la crise aussi nettement que l'Allemagne», où la croissance est plus forte, relève l'économiste Jérôme Creel, de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

Dans ce contexte, l'Europe n'est plus vue comme porteuse d'espoir mais de difficultés. Selon Frédéric Allemand, spécialiste des questions de gouvernance économique européenne, cette désillusion prend naissance dans une «incapacité de l'Europe à améliorer ses perspectives de croissance».

Selon le sondage BVA-Gallup publié en début de semaine par le journal Le Parisien, les Français sont 61% à anticiper des difficultés économiques en 2011, contre 52% pour les Britanniques, 48% pour les Espagnols, et 22% pour les Allemands.

Mais à un peu plus d'un an de la présidentielle prévue au printemps 2012, «le scepticisme à l'égard des politiques atteint des dimensions abyssales», relevait mardi l'éditorialiste Serge July sur la radio RTL, alors que le président Nicolas Sarkozy bat des records d'impopularité et que l'opposition socialiste reste très divisée.

«Chacun sent bien que notre cher État comme notre chère Europe sont des victimes de la crise, voilà pourquoi nos politiques sont aujourd'hui si démunis et nos concitoyens si cafardeux, en conséquence pour gagner la présidentielle il faudra être très compétent en... psychanalyse», résumait-t-il.