Celui qu'on surnomme le dernier dictateur d'Europe, Aleksander Loukachenko, a mis de l'eau dans son vin. À l'aube de l'élection présidentielle, il permet à ses rivaux de faire campagne librement pour la première fois en 16 ans. Il espère en échange être récompensé par l'Union européenne. Mais ce vent de changement a ses limites, raconte notre envoyé spécial en Biélorussie.

«Staline l'a bien dit: «Ce qui compte, ce n'est pas qui vote, mais qui compte les votes.» L'opposant biélorusse Aleksander Milinkevitch est loin d'être un admirateur du défunt leader soviétique. S'il le cite, c'est qu'il sait bien que le dictateur avait raison: l'apparence de démocratie ne prévient en rien les bourrages d'urnes. Et le scrutin présidentiel de demain en Biélorussie n'en sera qu'une preuve de plus, selon lui.

Lorsqu'il était candidat de l'opposition unie, en 2006, Milinkevitch et son équipe ont subi intimidation et entraves administratives durant toute la campagne. Les manifestations qu'il avait organisées pour contester le résultat du scrutin, remporté par le président sortant, Aleksander Loukachenko, avec 83% des voix, s'étaient soldées par des centaines d'arrestations, dont la sienne.

«Cette année, c'est totalement différent», souligne M. Milinkevitch, qui a choisi de ne pas se présenter alors que l'opposition est déjà morcelée. Les neuf prétendants ont eu pour la première fois accès à la télévision d'État pour débattre en direct. Et ils ont pu sans entrave amasser des signatures et louer des salles pour rencontrer les électeurs.

Le président Aleksander Loukachenko ne s'est toutefois pas abaissé à participer à l'exercice télévisé ni à mener une quelconque campagne électorale. De toute façon, sa mainmise sur l'espace public est quasi totale.

«Le nom de Loukachenko a été évoqué 1250 fois plus dans les médias que ceux de tous les autres candidats réunis!» s'insurge le poète et candidat Vladimir Nekliaïev, citant une étude indépendante de l'Association biélorusse des journalistes.

Besoin d'aide

L'«ouverture» du régime pour le temps de la campagne n'a rien d'un hasard. C'est que, au début du mois de novembre, en visite à Minsk, les chefs de la diplomatie allemande et polonaise ont laissé entendre que la Biélorussie pourrait bénéficier d'une aide économique... si l'élection présidentielle était jugée «libre et juste» par les observateurs étrangers.

Et, justement, le pays a cruellement besoin d'argent. Durant ses 16 ans au pouvoir, le «dernier dictateur d'Europe» a pu compter sur la Russie pour maintenir l'économie biélorusse sous respirateur artificiel. Mais au cours des dernières années, Moscou a commencé à exiger notamment que Minsk paie ses livraisons de gaz naturel à un prix se rapprochant de ceux des marchés extérieurs.

Les tensions politico-économiques avec son grand voisin ont donc forcé Loukachenko à se tourner vers l'Europe pour l'aider à moderniser une économie toujours contrôlée à 80% par l'État, deux décennies après la chute de l'URSS. Une fois le scrutin passé, il compte se lancer dans des privatisations massives, risquées mais désormais indispensables.

«Il y a quatre ans, le régime voulait prouver sa légitimité au peuple biélorusse. Cette année, il doit être légitime aux yeux de l'Europe», souligne Aleksander Milinkevitch.

Scrutin frauduleux prévu

La plupart des candidats ont appelé leurs partisans à descendre sur la place centrale de Minsk dès la fermeture des bureaux de scrutin, demain soir, pour dénoncer un scrutin «frauduleux».

Les résultats ne seront pas encore connus à ce moment mais, à leurs yeux, l'issue ne fait aucun doute: même si la cote de popularité du président sortant ne serait plus aujourd'hui que d'environ 40%, il sera donné largement gagnant.

Le candidat Neklaïev croit que les cinq jours de vote par anticipation auront déjà permis au pouvoir de manipuler les résultats à sa guise et d'éviter un second tour humiliant pour le charismatique président.

Plusieurs étudiants ont indiqué à La Presse s'être fait «fortement recommander» par leurs professeurs de participer au vote anticipé pour «faciliter le passage des examens».

Crédité de 16,8% des voix par un sondage indépendant d'une firme lituanienne, Vladimir Nekliaïev appelle les Occidentaux à ne pas être dupes. «Ils ne recevront, en échange de leur argent, qu'une imitation de démocratie. Il est impossible de s'entendre sur quoi que ce soit avec Loukachenko», explique le poète de 64 ans, dont aucun des partisans n'a été autorisé à siéger à une commission électorale.

Vladimir Nekliaïev est peu optimiste sur ses propres chances de succès et sur celles de l'opposition. C'est que le régime dispose d'un atout de taille: l'apathie de la population, qui préfère se tenir loin de la politique. «La peur est très forte. Lorsque nous avons mené un sondage, les deux tiers des répondants nous ont dit qu'ils n'étaient pas prêts à participer à un mouvement de changement», se désole Nekliaïev.

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Le dernier dictateur d'Europe

Ancien directeur de ferme collective, Aleksander Loukachenko reste nostalgique de l'URSS. Il a été élu en 1994 lors du seul scrutin reconnu comme démocratique à l'étranger depuis l'indépendance du pays, en 1991, avec des promesses de lutte contre la corruption. Depuis, il a instauré un régime autoritaire similaire à celui de l'époque soviétique. Ses partisans lui sont reconnaissants d'avoir évité le brusque passage à l'économie de marché, difficilement vécu dans les autres pays de l'ancien bloc de l'Est. Ses opposants lui reprochent d'avoir du même coup freiné le développement du pays. Ils l'accusent aussi d'avoir fait disparaître des opposants à la fin des années 90 et d'avoir isolé la république de 9,5 millions d'habitants du reste de l'Europe pour se rapprocher du Venezuela, de l'Iran et de la Chine. En 2004, il a changé la Constitution du pays, qui le limitait à deux mandats, pour pouvoir se présenter indéfiniment.