Le célèbre animateur de télévision Michel Drucker a-t-il le droit d'exclure de son émission Marine Le Pen, probable candidate du Front national à la prochaine élection présidentielle?

La question, à première vue insolite puisque Drucker est un animateur de variétés, a été soulevée mardi par la fille du vieux leader d'extrême droite Jean-Marie Le Pen. Et a provoqué un certain embarras du côté de la direction de France Télévisions, qui coiffe les trois principales chaînes publiques.

«C'est un véritable scandale d'exclure le représentant ou la représentante de millions d'électeurs, d'autant plus que Michel Drucker est sûrement fort bien payé par les contribuables français puisqu'il est sur le service public, a dit Marine Le Pen sur les ondes de Radio Classique. Mais il a probablement oublié ce que cela voulait dire.»

L'animateur de Vivement dimanche s'est refusé à tout commentaire, mais le président de France Télévisions, Rémy Pfimlin, a été obligé de faire une mise au point légèrement embarrassée: «L'équilibre des temps de parole [prévu par la loi de 1986 entre les principales forces politiques] ne s'apprécie pas au niveau d'une seule émission, mais par genre d'émission sur l'ensemble des chaînes publiques, et sur un semestre entier.»

En clair: la télévision publique est tenue, même en dehors des périodes électorales, de traiter de manière «équitable» les principales forces politiques dans le pays.

Plus populaire que son père

La règle s'applique aux journaux télévisés et aux grandes émissions politiques périodiques. Devenue à 42 ans la vedette incontestable du Front national depuis que son père a annoncé sa retraite imminente de la vie politique, Marine Le Pen est d'ailleurs régulièrement invitée à ces émissions de débat. Même si Jean-Marie Le Pen a obtenu au premier tour de la présidentielle de 2007 un résultat en forte baisse (10,4% des voix), le Front national reste en gros la troisième force politique du pays, après l'Union pour un mouvement populaire et le Parti socialiste.

La question ne s'est donc jamais posée un seul instant de savoir si les leaders du Front national ont un accès «normal» aux émissions politiques. D'autant plus que, de l'aveu même du nouveau chef de l'UMP, Jean-François Copé, on assiste depuis quelques mois à une «remontée du FN dans l'opinion».

Contrairement aux pronostics, l'effacement prochain de Jean-Marie Le Pen et son remplacement probable par sa fille n'a provoqué aucune baisse réelle du FN.

Dans les derniers sondages concernant la présidentielle de 2012, Marine Le Pen est créditée de 12 à 14% des voix, des chiffres supérieurs à ceux de son père, ce qui fait d'elle une personnalité incontournable.

A priori, la répartition équitable du temps de parole entre les partis ne vise que les émissions d'information. Vivement dimanche, avec Michel Drucker, ou Tout le monde en parle, avec Laurent Ruquier, le samedi soir, sont deux grandes émissions de divertissement. C'est d'ailleurs lors de son passage chez Ruquier, le 6 novembre dernier, que Drucker a déclaré son «aversion» pour Le Pen père et fille, qu'il n'a aucune intention d'inviter. Un aveu qui a fourni à Marine Le Pen le prétexte idéal pour ouvrir la polémique.

Loin de toute polémique

Ce long talk-show du dimanche après-midi se déroule sur un ton à la fois familier et sympathique, loin de toute polémique. Le problème, c'est que, pour des raisons d'audience, on y a invité de plus en plus de personnalités politiques. De droite comme de gauche, toutes les figures connues ont défilé sur le canapé de Drucker pour s'y faire traiter en amis de longue date.

Dans les derniers mois, on a vu notamment deux vedettes de l'extrême gauche, Jean-Luc Mélenchon et Olivier Besancenot, crédités de plus ou moins 5% à la présidentielle, traités avec la plus grande bienveillance.

Pourquoi pas Marine avec ses 12 ou 14% des voix? «Voilà où nous conduit, écrit le journaliste du Point Emmanuel Beretta, la confusion des genres entre les émissions politiques et les émissions de divertissement.»