L'ex-premier ministre français Dominique de Villepin était entendu jeudi par un juge dans l'affaire Karachi, une enquête mêlant un attentat au Pakistan à des soupçons de corruption en France et qui constitue pour lui un nouveau duel politico-judiciaire avec Nicolas Sarkozy.

La justice française s'intéresse à un circuit de corruption présumée ayant accompagné la vente de sous-marins au Pakistan. À des commissions versées à des décideurs pakistanais, légales à cette époque, se seraient ajoutées des rétrocommissions par lesquelles une partie des sommes revenait illégalement en France au profit de responsables français.

La justice cherche aussi à établir s'il y a un lien entre l'arrêt du versement de commissions en 1995 et un attentat à Karachi en 2002 qui a coûté la vie à 15 personnes dont 11 Français, travaillant à la fabrication des sous-marins.

L'audition, qui devrait durer plusieurs heures et qui se déroule en présence de l'avocat de familles de victimes de l'attentat, a débuté vers 14h.

C'est Dominique de Villepin lui-même qui a demandé à être entendu comme témoin par le juge Renaud van Ruymbeke. L'ancien premier ministre a fait état vendredi de «très forts soupçons» de corruption en 1995 vers des décideurs français, qu'il a confirmés dimanche tout en précisant qu'il n'y avait «pas de preuve formelle».

M. de Villepin était secrétaire général de l'Élysée en 1995 quand Jacques Chirac a ordonné à son arrivée à la présidence la révision des contrats d'armement ayant pu donner lieu à de telles rétrocommissions.

M. Chirac a «souhaité moraliser la vie publique internationale, c'est-à-dire interrompre tous les contrats qui avaient ou pouvaient donner lieu à rétrocommissions», avait expliqué l'ancien premier ministre vendredi soir.

Ces rétrocommissions «illégales» revenaient «vers la France, vers des personnes, des personnalités, politiques ou non politiques», avait-il ajouté sans donner de noms.

La justice soupçonne qu'une partie des commissions versées dans le cadre de ces contrats soit revenue en France - via des rétrocommissions - pour financer la campagne présidentielle d'Edouard Balladur, dont Nicolas Sarkozy était le porte-parole en 1995. N. Balladur était le rival de M. Chirac.

Le président Sarkozy, qui assure n'avoir eu aucune connaissance d'éventuelles rétrocommissions, s'est violemment emporté vendredi soir, lors d'une discussion à bâtons rompus, contre la presse accusée de le mettre en cause sans preuve.

Cette volonté de Dominique de Villepin de témoigner dans une affaire potentiellement embarrassante pour Nicolas Sarkozy n'est qu'un énième avatar de la rivalité entre les deux hommes.

Elle s'est cristallisée lors de l'affaire Clearstream, un dossier complexe de listings bancaires falsifiés mettant en cause Nicolas Sarkozy, dans laquelle M. de Villepin est poursuivi pour «dénonciation calomnieuse».

Convaincu que ce dernier était au coeur d'un complot pour lui barrer la route de l'Élysée, Nicolas Sarkozy aurait été jusqu'à menacer son ennemi de «le pendre à un croc de boucher».

Dominique de Villepin, qui accuse Nicolas Sarkozy d'être devenu «un problème pour la France», a été relaxé en première instance, mais le parquet a fait appel du jugement et un second procès doit se tenir en mai 2011.

L'enquête sur l'attentat de Karachi, d'abord focalisée sur Al-Qaïda, s'est réorientée vers l'hypothèse de représailles pakistanaises après l'arrêt de versements des commissions françaises.

M. de Villepin a toutefois déclaré dimanche qu'«à (sa) connaissance», il n'y avait «aucun lien» entre l'arrêt du versement des commissions et l'attentat.