Trente rescapés du massacre méconnu de Maillé, un village français où 124 civils avaient été tués par des Allemands en août 1944, ont annoncé samedi se porter partie civile dans le cadre d'une procédure en Allemagne, dans l'espoir de savoir enfin «qui» et «pourquoi».

«Trente victimes ont indiqué se porter partie civile», a affirmé leur avocat, Me Marc Morin, à l'issue d'une réunion de rescapés et d'ayants droit organisée par la mairie de ce village martyr du centre de la France.

«Nous voulons savoir, jusqu'à maintenant on n'a que des suppositions», a souligné Mauricette Garnier, qui avait 9 ans le 25 août 1944, date du massacre par des troupes allemandes, le jour de la libération de Paris.

Ce jour-là, «nous nous sommes enfuis mais ils nous ont rattrapés et ont tué ma mère et mon petit frère de 18 mois sous mes yeux dans un champ de topinambours. Une balle m'a blessée à la tête», témoigne cette septuagénaire, qui a également perdu un frère de 10 ans dans la tuerie.

Au total, 60 à 80 hommes ont tué par balles et à l'arme blanche 124 des quelque 500 habitants du village, dont 44 enfants, en quelques heures.

L'hypothèse de représailles après une attaque de la Résistance est privilégiée mais n'explique pas la sauvagerie de l'action.

Seul un sous-officier allemand, Gustav Schlüter, a été jugé par contumace, en 1952 par la justice française, et condamné à mort, mais son extradition n'a jamais été demandée et il est mort chez lui en 1965.

Eclipsé par la libération de Paris, le massacre est resté longtemps dans l'oubli. D'autant que, contrairement à Oradour-sur-Glane, autre village martyr, Maillé a été entièrement reconstruit et n'en conserve guère de trace.

Nicolas Sarkozy s'était d'ailleurs rendu en 2008 à Maillé, pour «réparer la faute morale de la France» qui, pendant 64 ans, a ignoré ce massacre.

Epuisée en France, où les crimes de guerre sont prescriptibles, la procédure d'enquête a été relancée en 2004 par le parquet de Dortmund (ouest de l'Allemagne), redonnant espoir aux victimes.

«Nous avons décidé de nous porter partie civile pour savoir enfin qui a commis ces massacres et pourquoi, et avoir accès au dossier», a précisé le maire de Maillé, Bernard Eliaume (sans étiquette).

Cinquante-huit rescapés et témoins français ont été entendus dans le cadre d'une commission rogatoire internationale. En Allemagne, les auditions des quelque 300 soldats et SS alors stationnés dans la région et encore en vie sont en cours. La procédure pourrait encore prendre deux ans.

«Aujourd'hui, il y a une vraie volonté des Allemands de faire la lumière sur ce massacre, et une vraie opportunité pour les victimes d'être reconnues comme telles», estime Me Morin.

L'enquête a permis d'orienter les soupçons sur «de jeune éléments de 16 à 18 ans, de la 17e Panzerdivision SS», selon Me Morin.

«On peut estimer qu'il reste environ 30 auteurs encore en vie. La difficulté est de les identifier en l'absence d'éléments matériels», indique l'avocat, qui reste prudent sur les chances d'aboutir à un procès.

Claude Daumain, blessé à la jambe lors du massacre alors qu'il avait 10 ans, a jugé inutile de se joindre à la constitution de partie civile. «C'est trop tard. On aurait dû le faire plus tôt. Mais à l'époque, tout le monde nous a laissés en plan», regrette-t-il.

Pour France Audenet, âgée de 18 ans à l'époque et qui a perdu son père dans le massacre, la procédure devrait permettre «que tout cela ne tombe pas dans l'oubli». «On n'en a pas parlé durant si longtemps», soupire cette octogénaire.