Des dizaines de chefs d'État convergent depuis quelques jours à Montreux, en Suisse, à l'occasion du XIIIe Sommet de la francophonie pour faire le point sur l'évolution de l'espace francophone et discuter des grands enjeux de l'heure. En prévision de l'ouverture officielle des débats aujourd'hui, nos journalistes Marc Thibodeau et Louise Leduc explorent les rapports de la France et du Québec avec la francophonie.

L'Organisation internationale de la francophonie, c'est «quand même» utile, lance la députée péquiste Louise Beaudoin, qui, dans sa carrière, a pourtant beaucoup fréquenté et favorisé les rapprochements entre francophones d'ici et d'ailleurs.

«Quand même» utile? Pourquoi ce «quand même» ? «Parce que le français recule à vitesse grand V dans les organisations internationales, que ce soit à l'ONU, à la Banque mondiale ou à l'Organisation mondiale du commerce. Or, on sait que l'avenir du français est en Afrique. Dans ces conditions, pourquoi les Africains continueraient-ils à parler et à apprendre le français si, sur la scène internationale, ça ne leur sert à rien ou de moins en moins? L'Organisation internationale de la francophonie ne fait pas suffisamment pour défendre la langue française.»

En même temps, Mme Beaudoin est parfaitement consciente que la l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) «ne peut pas faire plus que ce qu'on lui donne comme mandat et comme moyens».

Quand on lui soumet les déclarations de Mme Beaudoin, Jean-Louis Roy, qui a été secrétaire général de l'Agence de la francophonie de 1990 à 1998, sursaute.

Vrai, «on ne peut se satisfaire de la place qu'occupe le français dans le monde». Mme Beaudoin est aussi bien avisée, dit-il, de faire remarquer que l'OIF ne peut pas faire de miracles avec les maigres subventions que lui octroient ses membres. Mais sur le fond, dit M. Roy, l'OIF «est faite de gouvernements, dont celui du Québec» à qui il revient d'assurer le leadership nécessaire au rayonnement du français.

Quand le sort d'Haïti se décide en anglais, quand des diplomates français se mettent à parler anglais à leurs interlocuteurs, «ce n'est pas la faute» à l'OIF, plaide M. Roy.

Pour le citoyen ordinaire, le fruit le plus visible de cette organisation est évidemment TV5. Les Français, les Belges et les Suisses ont des nouvelles de nous, nous avons des nouvelles d'eux.

Mais cela va bien au-delà, dit M. Roy. L'OIF, dit-il, «est une formidable machine à résauter» et cela va bien au-delà des associations de maires ou de parlementaires mises en place.

Vous vous souvenez de ce rapport, évoquant le fait que d'ici 2050, neuf francophones sur dix seront africains? Il a en grande partie été rédigé par des démographes de l'Université Laval, note M. Roy pour illustrer de quelle façon l'OIF fait rayonner le savoir québécois à l'étranger.

«Pas moins de 300 bibliothèques publiques en Afrique ont été créées par des équipes québécoises, sans compter cette bibliothèque virtuelle mondiale (faite de milliers d'ouvrages numérisés) qui est née à partir de la Grande Bibliothèque de Lise Bissonnette», poursuit M. Roy.

Voici donc des Québécois qui, grâce à l'OIF, exportent leur expertise. Dans le domaine juridique, c'est tout aussi vrai, fait remarquer le juriste Jacques Frémont.

Au fil de son histoire, l'OIF s'est de plus en plus impliquée dans la surveillance d'élections au sein de démocraties encore fragiles, un domaine dans lequel les Québécois ont aussi acquis une belle réputation et récolté plusieurs mandats.

L'une des forces de l'Organisation internationale de la francophonie, poursuit M. Frémont, c'est d'avoir bien su s'implanter sur le terrain par une «diplomatie discrète», mais efficace. Avec le temps, l'OIF a créé des liens un peu partout, avec ses gens qui peuvent facilement «entrer dans le bureau d'un président pour lui faire comprendre que telle ou telle affaire, ça ne se fait pas».

Une voix pour le Québec

«Le Québec n'a pas de siège à l'ONU pas plus qu'à l'OTAN, alors l'OIF demeure le principal organisme dont le Québec fait partie», rappelle pour sa part Lise Bissonnette, qui se trouve présentement à Montreux en tant qu'invitée.

Le Québec est «un acteur majeur» dans l'OIF, et y a les coudées d'autant plus franches, fait-elle observer, «que le Canada y tient un rôle effacé». «Le gouvernement du Canada ne cherche pas trop à porter ombrage au Québec.»

Ce sera probablement encore plus vrai cette année, prédit Lise Bissonnette, alors que le Sommet se tient quelques semaines après la sérieuse rebuffade que les pays africains ont infligé à Stephen Harper en ne votant pas pour le Canada au Conseil de sécurité de l'ONU.

Bien sûr, l'Organisation internationale de la francophonie a ses défauts; bien sûr, il est étrange d'y voir plein de pays pas du tout francophones y adhérer ou tenter d'y adhérer (qu'y ferait la République dominicaine, par exemple?) mais aux yeux de Lise Bissonnette, l'OIF demeure un formidable réseau. Peut-être a-t-elle été mieux que quiconque en mesure de le constater alors qu'elle était à la tête de la Grande Bibliothèque.

Sans l'OIF, sans doute le Québec et la France auraient-ils mis en place cette grande bibliothèque virtuelle, mais l'Afrique aurait-elle été aussi naturellement encline à y participer?

Après la Chine et l'Inde, c'est maintenant l'Afrique qui est sur le point de redémarrer, conclut Jacques Frémont. Que le Québec ait une présence forte sur ce continent ne peut avoir que des avantages, conclut Jacques Frémont.