Dans le conflit de la réforme des retraites, la course contre la montre continue.

D'un côté, les six principales centrales syndicales du pays appellent à continuer le combat et ont décidé hier après-midi l'organisation de deux nouvelles journées de grèves et de manifestations, le 28 octobre et le 6 novembre, date à laquelle la nouvelle loi sera vraisemblablement promulguée par le président Sarkozy.

De l'autre, le gouvernement a décidé de bousculer le Sénat, où la multiplication des amendements et explications de vote des élus de gauche menaçait de prolonger de plusieurs jours supplémentaires un débat marathon entamé le 6 octobre. En adoptant la procédure du «vote bloqué», le gouvernement peur espérer obtenir l'adoption du texte tard ce soir ou samedi. Même si la loi devrait encore revenir à l'Assemblée nationale pour une ratification de pure forme, puis attendre la promulgation par le président, le vote du Sénat constituerait un point de non-retour et, selon l'un des ministres responsables de la réforme, «enlèverait toute légitimité au mouvement de grève».

Guérilla urbaine

Au sein de ce mouvement de protestation national qui se manifeste en ordre dispersé, l'irruption des lycéens, il y a une semaine, était une source d'inquiétude majeure pour le gouvernement. À chaque nouvelle manifestation, on redoutait un incident tragique. D'autant plus que, désormais, de jeunes «casseurs» venus des quartiers sensibles réussissent presque toujours à se glisser dans les manifestations. Comme à Lyon, où les affrontements ont tourné à la guérilla urbaine et au pillage dans le centre-ville, avec 265 arrestations de jeunes émeutiers, dont deux tiers de mineurs. Ils étaient encore 20 000 ou 30 000 à défiler hier dans les principales villes. Et 1300 lycées sur 4300 -selon les syndicats étudiants- restaient perturbés.

Sur ce point majeur, le temps joue en faveur du gouvernement, avec le début ce soir des vacances scolaires de la Toussaint. Les lycées seront vides pour une dizaine de jours. Et beaucoup de parents en profitent pour prendre une semaine de congé. On peut donc tabler sur une démobilisation des protestataires.

Le noyau dur du mouvement reste le blocage des 12 raffineries du pays et de plusieurs dépôts de carburant. La panique aidant, on est arrivé à une situation proche de la pénurie, notamment dans l'ouest de la France et en région parisienne. «Il n'y a plus d'essence à Saint-Malo depuis quatre jours, explique le patron d'un hôtel de luxe, et tous les professionnels ici craignent les annulations.» Dans le secteur du tourisme, beaucoup craignent que les clients reportent leurs vacances. Selon le ministre responsable de l'énergie, Jean-Louis Borloo, la situation est en voie d'amélioration, et le nombre de stations-service en panne sèche était tombé hier soir à environ 2500. Mais les usagers continuent de chercher une station ouverte et de faire la queue pendant des heures. Et trois départements de l'Ouest ont décrété un rationnement à 30 litres par client.

Les Français, qui étaient 71% à soutenir le mouvement il y a 10 jours, y sont encore favorables aujourd'hui à hauteur de 59%, selon les sondages. Mais ils sont 54% à condamner le blocage des dépôts de carburant. Les piquets de grève seront forcés d'en tenir compte. D'autant plus que les principales centrales syndicales redoutent la radicalisation d'un mouvement qui serait hors contrôle.