La France a tourné au ralenti, hier, au cours d'une autre journée de manifestations contre la réforme des retraites ponctuée par une série d'accrochages musclés entre jeunes protestataires et forces de police.

Le président Sarkozy, qui écarte toute modification au projet de loi actuellement à l'étude au Sénat, a appelé «à la responsabilité de l'ensemble des acteurs pour que les choses ne franchissent pas certaines limites».

Il a assuré du même souffle qu'il veillerait à ce que «l'ordre public soit garanti».

La forte mobilisation des lycéens, qui ont bloqué plusieurs centaines d'établissements à l'échelle du pays, a ajouté à la tension dès le matin.

C'était le cas notamment au lycée Sophie-Germain, dans le 4e arrondissement de Paris. Dès 8h, l'accès en était obstrué par un important amoncellement de poubelles sur lequel étaient assis quelques élèves.

«Il y a eu des coupes en éducation, ensuite dans les retraites. Qui sait ce que ce sera ensuite?» a demandé Manou Poret, qui distribuait des tracts à proximité de l'établissement, touché depuis plusieurs jours par le mouvement social. «Jeudi dernier, les CRS sont venus et ils ont gazé les élèves. C'était vraiment chaud», a déclaré la jeune fille de 16 ans.

Selon elle, le gouvernement espère tenir jusqu'à la fin de la semaine dans l'espoir de voir la contestation s'essouffler avec le début des vacances de la Toussaint.

Pas le droit «de casser»

Il n'était pas question de vacances un peu plus loin, place de la République, où des élèves de plusieurs lycées ont convergé en matinée avec poubelles et barrières pour stopper la circulation.

Les jeunes manifestants ont laissé passer les véhicules qui klaxonnaient pour souligner leur soutien, mais plusieurs automobilistes moins enthousiastes ont cherché à forcer le passage en accélérant, au risque de heurter quelqu'un.

«On essaie de rameuter le maximum de gens... Si la loi passe maintenant, on ne pourra plus rien faire», a expliqué Cantin, un lycéen.

Plusieurs passants ont semblé exaspérés par l'initiative. «Un coup de jet d'eau là-dedans et ce serait terminé», a lancé un camionneur, quelques heures avant que les CRS ne chargent et poussent les manifestants à s'éparpiller.

Dans le 15e arrondissement, une jeune fille de 15 ans a été blessée par l'explosion d'un scooter qui se trouvait près d'une poubelle dans laquelle on avait mis le feu.

Des incidents plus violents sont survenus à Nanterre, en banlieue parisienne, où quelques centaines d'adolescents ont détruit des abribus, cassé des vitrines et brûlé quelques voitures. Le même scénario s'est produit à Lyon. Plusieurs dizaines d'arrestations ont été signalées.

La ministre de l'Intérieur, Michèle Alliot-Marie, a déclaré que la population a le droit de faire grève et de manifester, «mais pas de casser».

Le gouvernement a aussi cherché à se montrer rassurant relativement à l'approvisionnement en essence, qui devient problématique en raison du blocage des raffineries et des terminaux pétroliers par des grévistes.

Vers la panne sèche

Selon les médias, 4000 des 12 500 stations-service étaient en pénurie ou menacées de l'être, hier, surtout dans le nord et l'ouest du pays.

«Chez moi, dans le 94 (en banlieue sud-est de Paris), il n'y a plus du tout d'essence. Et j'ai eu tout le mal du monde à en trouver ce week-end en Normandie», a confié Anne Sireau, une motocycliste qui venait de faire le plein rue de Rivoli, près de la place de la Bastille. Une longue file d'automobilistes attendait derrière elle.

«Je suis en retard à mon travail parce que j'ai dû attendre. Mais c'est mieux que de ne pas avoir d'essence», a indiqué Mme Sireau, qui croit que la situation va s'aggraver dans les jours qui viennent malgré les promesses du gouvernement.

Selon la principale fédération de travailleurs routiers, la pénurie compromet déjà le ravitaillement des usines et des magasins et elle risque de s'étendre sous peu aux grandes surfaces et aux restaurants.

Les grévistes ont aussi largement perturbé hier les transports ferroviaires et aériens. La moitié des vols prévus ont été annulés dans les principaux aéroports.

Malgré la fermeté dont fait montre le président, les manifestants croisés hier à la place d'Italie, point de départ du défilé organisé par les principales centrales syndicales, se sont dits déterminés à continuer la lutte.

«Les gens n'ont plus de quoi vivre, ils n'ont plus de quoi manger. Tant qu'on aura un gouvernement de dictateur, on n'arrivera jamais à rien», a déclaré Pierre Trabattoni, 54 ans, qui s'était confectionné pour l'occasion un bonnet phrygien, emblème de la Révolution française.

La réforme en bref

Le gouvernement français maintient qu'il est urgent de réformer le régime des retraites parce qu'il est dramatiquement sous-financé. Le projet à l'étude prévoit le report de l'âge légal de la retraite de 60 à 62 ans d'ici à 2018 ainsi que le report de l'âge de la retraite à taux plein de 65 à 67 ans. Il est actuellement à l'étude au Sénat, où les élus socialistes ont déposé des centaines d'amendements pour retarder son adoption. Le projet de loi doit ensuite être revu en commission mixte paritaire avant son adoption, prévue au milieu de la semaine prochaine.

Mobilisation record?

Les syndicats ont affirmé hier qu'ils avaient réussi à mobiliser autant de manifestants que lors de la journée record du 12 octobre, où ils avaient recensé plus de 3,5 millions de participants à l'échelle du pays. Le ministère de l'Intérieur, qui présente des chiffres bien inférieurs, de l'ordre de 1 million de personnes, parlait pour sa part d'une légère baisse de participation. Selon un sondage paru lundi, 71% des Français soutenaient la journée de grève.