La crainte d'une paralysie de l'économie en France s'est renforcée mardi, avec un durcissement de la contestation de la réforme des retraites dans des secteurs stratégiques, tandis que les syndicats gagnaient dans la rue leur pari de pérenniser la mobilisation à un haut niveau.

Pour la dernière fois avant le vote du texte au Sénat, attendu en fin de semaine, de nombreux Français ont manifesté pour protester contre cette réforme impopulaire qui vise à reculer l'âge minimal de départ à la retraite de 60 à 62 ans.

Lors de cette sixième journée d'action depuis la rentrée, le nombre des manifestants à travers le pays a atteint 1,1 million selon la police et 3,5 millions selon les syndicats.

Cette mobilisation, dont l'ampleur témoigne que la contestation s'inscrit dans la durée, est globalement comparable au niveau record atteint le 12 octobre (1,2 million selon la police, 3,5 millions selon les syndicats).

Des affrontements ont opposé jeunes et forces de l'ordre en banlieue parisienne et à Lyon (centre-est) dans la journée de mardi. Au total, 1158 «casseurs» ont été interpellés en une semaine, selon le ministère de l'Intérieur.

A Lyon, on a assisté mardi à «de véritables phénomènes de guérilla urbaine», a déclaré à la presse Albert Doutre, directeur départemental de la sécurité publique du département du Rhône.

Il a cité «des scènes de pillage, des scènes extrêmement violentes d'incendies de véhicules, de véhicules retournés, de vandalisme, de dégradations systématiques».

La manifestation parisienne, la plus importante des 266 organisées dans le pays, a rassemblé 67 000 personnes selon la police, 330 000 selon les syndicats, témoignant là encore, en dépit d'écarts entre les estimations, d'une mobilisation soutenue.

Le leader du syndicat CFDT François Chérèque a lancé «un appel au calme», pendant que celui de la CGT Bernard Thibault a exhorté le gouvernement à «entendre l'ampleur de cette protestation».

Le porte-parole du Parti socialiste, premier mouvement d'opposition, Benoît Hamon, a jugé mardi soir que «le mouvement fait tache d'huile» et que le gouvernement devait abandonner sa réforme.

Mais le Premier ministre François Fillon a estimé que le mouvement social «plafonne, commence à s'essouffler», même si «il se radicalise».

«Personne» n'a «le droit de prendre en otage un pays tout entier», a-t-il ajouté, alors que le mouvement de grève continue de se durcir, en particulier dans les raffineries et les transports, provoquant des pénuries de carburant et risquant de paralyser l'économie.

Prenant la mesure de la gravité de la situation, le président Nicolas Sarkozy, qui entend mener jusqu'au bout cette réforme phare de son quinquennat, en a appelé mardi à la «responsabilité de l'ensemble des acteurs». Il a prévenu qu'il prendrait des mesures contre les blocages dans les raffineries et pour «garantir l'ordre».

Avec l'ensemble des douze raffineries du pays en grève et une vingtaine de dépôts pétroliers sur 219 bloqués, près de 4000 stations-service sur 12 500 étaient «en attente d'approvisionnement», selon le ministre de l'Ecologie et de l'Energie Jean-Louis Borloo.

Au rythme actuel, «il n'y aura plus (de carburants) d'ici la fin de la semaine», a estimé un patron de la grande distribution, Michel-Edouard Leclerc, inquiet pour les stations de son groupe.

Un ralentissement de l'activité dans la restauration, l'hôtellerie, le commerce de détail et les loisirs a aussi été signalé, ainsi que dans le bâtiment et les travaux publics.

Le nombre des liaisons aériennes dans l'ensemble du pays était fortement réduit mardi, avec 50% des vols annulés à l'aéroport parisien d'Orly et 30% dans celui de Roissy. Les perturbations se poursuivront mercredi, la CGT ayant appelé à la reconduction de la grève dans tous les aéroports français.

Parallèlement, près de 400 lycées ont connu des perturbations ou ont été bloqués, alors que l'entrée en force des lycéens et des étudiants dans le mouvement faisait craindre la multiplication des débordements.

Les principales organisations lycéennes et étudiantes ont annoncé une nouvelle journée d'action jeudi.