Marine Le Pen, qui se trouve en bonne position pour succéder à son père à la tête du Front national, siégera-t-elle un jour comme ministre au sein d'un gouvernement de coalition de droite en France?

Bien qu'il tienne encore de la «politique-fiction» au dire du spécialiste de l'extrême droite Jean-Yves Camus, le scénario ne paraît pas farfelu au moment où se multiplient, en Europe, les alliances stratégiques entre partis traditionnels et populistes.

Si peu farfelu, en fait, qu'il était ouvertement évoqué la semaine dernière par un conseiller de l'Élysée dans un dossier du Parisien consacré à la remontée du parti d'extrême droite français. Donnée pour morte par le chef d'État Nicolas Sarkozy après le scrutin présidentiel de 2007, la formation dit aujourd'hui avoir le vent dans les voiles.

«Je suis convaincu qu'elle (Marine Le Pen) sera un jour dans un gouvernement de droite, mais dans longtemps, dans 10 ans. Elle n'est pas pire que la CSU bavaroise en Allemagne et plus modérée que la Ligue du Nord italienne!» a déclaré le conseiller en question, sous le couvert de l'anonymat.

Pour qu'un rapprochement entre droite traditionnelle et extrême droite puisse se faire en France, il faudrait, selon M. Camus, que le Front national devienne «un parti comme les autres», ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

Au dire du politologue, la formation ne peut être comparée au Parti pour la liberté néerlandais de Geert Wilders, qui va bientôt faire son entrée formelle dans une coalition gouvernementale. «Le langage de M. Wilders est très violent sur l'islam, mais, sur le reste, c'est un parti complètement classique. Il ne vient pas du fascisme», souligne-t-il.

Briser le tabou

Il faudrait aussi que la droite traditionnelle française brise le tabou et soit disposée «à perdre les électeurs du centre pour faire alliance avec ceux du Front national sans avoir aucune garantie de ne pas être confrontée à d'importantes dissensions internes».

Les tiraillements qui se manifestent au sein de l'UMP, parti de la majorité, relativement à la politique de renvoi des Roms illustrent bien les risques d'une telle entreprise.

Nombre d'analystes jugent que le durcissement de ton du gouvernement vise à récupérer une partie de l'électorat d'extrême droite avant l'élection présidentielle de 2012. Mais la stratégie pourrait s'avérer doublement perdante, prévient M. Camus.

D'une part, l'électorat plus centriste n'apprécie pas les mesures répressives du gouvernement en matière d'immigration. L'électorat traditionnellement acquis au FN se montre pour sa part sceptique sur les intentions de Nicolas Sarkozy.

Des sondages d'opinion indiquent qu'environ 30 % des sympathisants d'extrême droite ont aujourd'hui une opinion positive du président alors que 80 % en disaient autant au lendemain du scrutin de 2007.

Contrairement à 2007, les partisans de l'extrême droite vont juger le président «sur ses actions et non sur ses promesses» en 2012, souligne M. Camus. «Aux yeux de cet électorat, son bilan n'est pas satisfaisant», dit-il.

Du côté du Front national, on insiste sur l'absence de crédibilité de Nicolas Sarkozy, en soulignant qu'il ne va pas assez loin en matière d'immigration et de sécurité. Marine Le Pen a récemment affirmé que le président en avait «tellement laissé croire» que «plus personne ne le prend au sérieux».

Sarkozy et l'avenir

L'idée d'un rapprochement formel - même hypothétique - avec la droite traditionnelle n'inspire rien au Front national. «Tant que l'UMP n'aura pas changé sur le fond et que les promesses resteront des promesses, il n'y aura pas d'alliance possible», a indiqué hier un porte-parole du parti.

Le quotidien américain Newsweek, qui a publié la semaine dernière un dossier sur le «nouvel extrême européen», a illustré sa page couverture avec une photo de Nicolas Sarkozy pour souligner l'influence des formations populistes sur les partis traditionnels. Une influence amplifiée dans bien des pays par le scrutin proportionnel, qui ne s'applique pas aux élections législatives en France.

«Il n'y a pas de doute que le spectacle d'un chef centriste comme Nicolas Sarkozy cherchant à courtiser un courant marginal de la société est un signe avant-coureur de ce que nous réserve l'avenir», souligne la revue.