La nette victoire du «oui» en Turquie au cours d'un référendum sur une révision constitutionnelle a ouvert la voie à un nouveau succès pour le parti islamo-conservateur du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan aux législatives l'an prochain, estimaient lundi les analystes.

«Notre nation s'est prononcée très clairement en faveur du changement et de la démocratie», a déclaré le vice-Premier ministre Cemil Cicek après six heures de réunion du cabinet turc pour évaluer les résultats du vote.

Le Parti de la justice et du développement (AKP) était à peu près seul à faire campagne en faveur de la réforme, dont le but était de «démocratiser» une Constitution héritée du putsch de 1980, en limitant notamment le pouvoir de la hiérarchie judiciaire et de l'armée, bastions du camp laïc.

Il peut donc légitimement prétendre récolter seul les bénéfices des 57,88% de «oui» exprimés par les Turcs dimanche --contre 42,12% de «non», avec un taux de participation de 73,7%, selon les résultats officiels provisoires--, commentait lundi l'éditorialiste Semih Idiz dans le quotidien Milliyet.

«Dès lors que le référendum a été transformé par l'opposition en un vote de confiance au gouvernement, il faut bien admettre que le pouvoir AKP a remporté cette épreuve», affirmait l'analyste, qui voit dans ce succès un «feu vert» pour le gouvernement.

Le vice-Premier ministre a souligné que «tout le monde devait respecter» le résultat du vote «en parole et en action». «Nous pensons que l'actuelle Constitution a atteint sa date de péremption», a-t-il dit.

Ce bon résultat arrive à point nommé pour l'AKP, au pouvoir depuis novembre 2002 après avoir remporté haut la main les dernières élections générales en 2007 (47% des voix), mais qui a manifesté des signes d'essouflement aux municipales l'an dernier (39%).

«L'AKP a passé avec succès un test important avant les élections législatives de 2011», estimait Murat Yetkin, du journal libéral Radikal.

La Bourse d'Istanbul a d'ailleurs salué ce score, vu comme un gage de stabilité, en terminant lundi sur un plus haut historique, gagnant 2,7% à 62 260,11 points.

«Les marchés ont apprécié les résultats du référendum (...) Ils constituent un signe positif en ce qui concerne la pérennité du parti qui gouverne seul la Turquie» depuis 2002, après des décennies d'instabilité politique, a affirmé la banque Fortis dans son bulletin d'analyse des marchés.

La victoire pourrait aussi attiser les ambitions présidentielles de M. Erdogan, qui a arpenté des mois durant la Turquie pendant la campagne pour le «oui», selon Rusen Cakir, du journal populaire Vatan.

«On peut facilement avancer qu'après cette victoire incontestable, le désir et la détermination (de M. Erdogan) pour la présidence se sont renforcés, et que le référendum a été une répétition avant une prochaine élection présidentielle», prédit le journaliste.

L'AKP doit cependant se garder de tout triomphalisme et rechercher le compromis avec l'opposition s'il ne veut pas s'aliéner davantage les 42% d'électeurs qui ont dit «non» à sa réforme, mettaient en garde plusieurs analystes.

De nombreux électeurs de l'opposition soupçonnent l'AKP de vouloir islamiser le pays en catimini. L'opposition laïque et nationaliste a mené campagne contre la réforme au motif qu'elle menaçait, selon elle, l'indépendance de la justice et la séparation des pouvoirs.

La révision limite les prérogatives de la justice militaire et modifie, au profit du pouvoir, la structure de la Cour constitutionnelle et du Conseil supérieur de la magistrature (HSYK) qui nomme juges et procureurs.

L'Union européenne, avec laquelle la Turquie a entamé des négociations d'adhésion en 2005, a salué dimanche «un pas dans la bonne direction», mais a averti, par la bouche de son commissaire chargé de l'Elargissement, Stefan Füle, qu'elle suivrait «très attentivement» l'application de la réforme.