La droite française se déchire sur l'opportunité d'ouvrir des centres d'injection surveillée pour réduire les risques de transmission de maladies infectieuses chez les toxicomanes.

La ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, a annoncé il y a quelques semaines qu'elle souhaitait lancer une vaste concertation en vue d'expérimenter cette approche après avoir reçu un rapport favorable de l'Institut national de la recherche et de la santé médicales (INSERM).

«Ces dispositifs n'ont pas pour but de dépénaliser l'usage de la drogue. Il s'agit ici avant tout d'un enjeu sanitaire», a-t-elle expliqué en parlant des centres, où des toxicomanes peuvent consommer sous supervision médicale de la drogue qu'ils apportent eux-mêmes.

Une quinzaine de députés du parti de la majorité ont critiqué le projet, demandant comment la ministre pouvait soutenir la création de «salles de shoot» tout en connaissant les «ravages provoqués par les drogues».

Le secrétaire général du parti, Xavier Bertrand, a aussi décrié l'initiative, arguant qu'elle enverrait «un très mauvais signal» à la société française.

Le premier ministre François Fillon, qui cherchait à mettre un terme à la cacophonie, a indiqué mercredi que les centres d'injection n'étaient «ni utiles ni souhaitables». Le but de l'État doit être «de réduire la consommation de drogue, non de l'accompagner, voire de l'organiser».

Le président du Sénat, Gérard Larcher, a malgré tout déclaré qu'il serait opportun de créer une «mission parlementaire» à ce sujet.

Risques importants

Le rapport de l'INSERM sur lequel la ministre de la Santé s'est appuyée relève qu'il n'existe pas de preuve que les centres d'injection ont pour effet d'augmenter ou de diminuer la consommation de drogue.

Il est cependant clairement établi, soulignent les experts, qu'ils favorisent une diminution des comportements à risque, réduisent le risque de surdose et constituent un canal efficace pour entrer en contact avec des toxicomanes «très isolés» et vulnérables.

Une analyse largement confirmée par Christophe Mani, directeur de Première ligne, une organisation suisse qui chapeaute un centre d'injection installé au coeur de Genève, à proximité de la gare.

Le centre Quai 9, dit-il, a été mis sur pied il y a une dizaine d'années en réponse au fait qu'un grand nombre de consommateurs de drogue fréquentaient le secteur et se piquaient dans des conditions dangereuses. Leur pratique posait pour eux des risques sanitaires importants et créait un sérieux problème de voisinage.

L'ouverture du centre, qui reçoit un millier de personnes par année, a permis d'offrir à ces consommateurs de drogue un environnement sain où ils peuvent, sur demande, être redirigés vers des services de désintoxication ou de réinsertion sociale.

«On ne met pas la pression. Notre approche est de faire savoir que les services sont là si les personnes en ont besoin», a expliqué hier M. Mani au cours d'un entretien téléphonique de Genève.

Débat jugé «navrant»

Le gestionnaire souligne que l'objectif du centre n'est pas «d'encourager la consommation» mais d'aider les consommateurs de drogue à se relancer tout en les protégeant des risques inhérents à leur dépendance.

«Nous partons du constat qu'il existe des gens qui consomment de la drogue qui n'ont pas attendu l'ouverture de notre centre pour procéder et qu'il y a bien peu de chances que des gens décident de commencer à prendre de la drogue parce qu'ils sont passés devant le centre», souligne-t-il.

Marc Valleur, médecin-chef du centre parisien Marmottan, spécialiste du traitement des dépendances, trouve que le débat en cours au sein de la droite française est «navrant».

Les mesures mises en place en France pour réduire les risques de contamination ont donné de bons résultats au cours des 20 dernières années. C'est sous cet angle qu'il faut évaluer l'intérêt possible des centres d'injection, pas sous un angle politique, dit le spécialiste.

«On dirait qu'on essaie de réveiller les vieux démons sur la drogue avec cette image de gens de gauche laxistes et de gens de droite musclés qui font ce qu'il faut en matière de répression», déplore-t-il.

Une dizaine de pays, y compris le Canada, exploitent avec succès des centres de ce type, souligne le Dr Valleur, qui ne perd pas espoir de voir la France emboîter le pas.

«Il faut peut-être mettre la question en veilleuse en raison du contexte politique. Mais elle se reposera parce qu'il s'agit d'une mesure assez logique qui a fait ses preuves», souligne le médecin.

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Les usagers

Selon l'INSERM, la France compte actuellement de 200 000 à 250 000 «usagers problématiques» de drogue. L'organisation regroupe sous cette étiquette les consommateurs de drogues injectables ou les consommateurs de longue durée qui utilisent régulièrement des opioïdes, de la cocaïne ou des amphétamines. Il s'agit d'une clientèle jeune, de 35 ans d'âge moyen, largement masculine. La majorité souffre de troubles psychiatriques. La consommation de cocaïne et de stimulants est en progression au pays alors que la consommation d'héroïne se stabilise après une baisse marquée.