Par devoir de mémoire, ils sont des milliers à emprunter cette année le chemin que les musulmans bosniaques prirent à travers les forêts, en juillet 1995, fuyant les forces serbes bosniaques qui allaient prendre le contrôle de l'enclave de Srebrenica.

«Chemin de la survie» pour les uns, qui se souviennent que cette fuite éperdue leur a permis d'avoir la vie sauve, «chemin de la mort» pour d'autres, hantés par le souvenir de ceux qui ont péri lors des bombardements serbes et n'ont pu rejoindre les zones tenues par les forces musulmanes bosniaques.

Srebrenica s'apprêtait à tomber entre les mains des forces serbes de Bosnie, prélude au massacre de quelque 8000 hommes et adolescents musulmans. «C'est une sorte de pèlerinage que je fais chaque année pour remercier Dieu de m'avoir sauvé la vie», confie un rescapé, Sefik Begovic, 37 ans.

Comme lui, 4000 à 5000 personnes viennent d'entamer une marche de trois jours, longue de 105 km, à travers les collines et les forêts de Bosnie, en direction de Srebrenica où doit se dérouler dimanche une cérémonie à l'occasion du quinzième anniversaire du massacre.

Les minarets de Nezuk, dans le nord-est de la Bosnie, diffusent des chants religieux pour accompagner le départ des marcheurs.

C'est dans cette localité que quelque 4000 musulmans bosniaques sont arrivés, fuyant Srebrenica, après un périple qui a duré sept à huit jours pour les plus chanceux, plus d'un mois pour d'autres.

Les marcheurs font aujourd'hui le chemin en sens inverse.

Hilmo Mustafic, 43 ans, l'un des survivants, est venu des États-Unis avec ses deux enfants. «Je veux raconter ici à mes enfants comment ça c'est passé, pour qu'ils s'en souviennent», dit cet homme à la courte barbe rousse.

La colonne s'étire dans le paysage. Des jeunes agitent des drapeaux verts et scandent «Allah akbar», malgré l'appel des organisateurs à se retenir de toute provocation en passant près des villages serbes.

Trois ou quatre coups de feu, sans doute des tirs en l'air, retentissent.  «C'est un village serbe», en conclut un marcheur.

Des policiers serbes bosniaques ont été déployés dans les endroits où la colonne passe à proximité des bourgades serbes.

«C'était un désordre total, on a été pris de panique dès la première nuit», se souvient Hilmo.

Un de ses camarades, Sabit Cvrk, 48 ans, raconte avoir fait le chemin avec onze autres hommes, dont un a été blessé dans les bombardements de leur groupe.

«On marchait uniquement la nuit, on avait une peur affreuse, les embuscades se succédaient. On a prié Dieu de ne pas tomber entre les mains des forces serbes», confie Sabit, vêtu de la tenue militaire des forces musulmanes de l'époque.

La fuite de Srebrenica a débuté le 11 juillet 1995. Ils étaient 10 000 à 15 000 hommes voulant rejoindre Tuzla, aux mains des forces musulmanes. Mais deux jours après le départ, la colonne a été coupée en deux par les forces serbes bosniaques dans la localité de Kamenicke Stijene. Cela signifiait la fin pour plusieurs milliers de fugitifs.

C'est à Kamenicke Stijene que Sadik Omerovic a vu pour la dernière fois son frère cadet, qui avait 21 ans, et son père. Tous deux ont été arrêtés avec d'autres hommes et exécutés.

«Le moment le plus dur a été quand je suis arrivé sur le territoire contrôlé par l'armée bosniaque (musulmane). J'ai pleuré de joie, pour avoir survécu, et aussi de tristesse, parce que je ne voyais pas mon frère et mon père parmi les survivants qui arrivaient», se souvient Sadik.