Le général de Gaulle est-il digne de figurer au programme du baccalauréat littéraire? Des professeurs de lettres français ont lancé une pétition pour s'insurger contre l'étude de ses «Mémoires de guerre», mais beaucoup d'auteurs défendent ses qualités d'écrivain et de mémorialiste.

«Proposer de Gaulle aux élèves est une négation de notre discipline. Nul ne songe à discuter l'importance historique de l'écrit de de Gaulle. Mais enfin, de quoi parlons-nous ? De littérature ou d'histoire?», s'indigne la pétition lancée par un collectif de professeurs et signée par 1 500 personnes.

Le collectif proteste contre la mise au programme du baccalauréat («bac») littéraire 2010-2011, examen qui sanctionne la fin des études au lycée et permet l'accès à l'enseignement supérieur, du troisième et dernier tome des «Mémoires de guerre». L'ouvrage narre avec un certain lyrisme l'épopée de la France Libre, la résistance extérieure française pendant la seconde guerre mondiale fondée à Londres par le général après son appel du 18 juin 1940.

«Est-ce notre métier de discuter une source historique ? D'en dégager le souffle de propagande mobilisateur de conscience nationale ? Car il s'agit bien de cela: aucun thuriféraire du général ne songerait à comparer l'écriture des Mémoires de guerre au style et à la portée de tout autre mémorialiste si l'on veut rester dans ce genre littéraire», poursuit la pétition.

L'écrivain et historien Max Gallo plaide le contraire. «Le général de Gaulle fait partie des plus grands mémorialistes de l'histoire française au même titre que le cardinal de Retz ou Saint-Simon», dit-il à l'AFP.

«Il a brossé dans son oeuvre des tableaux qui sont depuis longtemps entrés dans la littérature française», relève encore Max Gallo, soulignant la vaste culture classique du général qui goûtait Racine, Goethe, les auteurs contemporains... Et par dessus tout Chateaubriand et ses «Mémoires d'outre-tombe», seul livre qu'il emporta lors de son exil volontaire en Irlande après son départ du pouvoir en 1969.

Le romancier et biographe Pierre Assouline ne dit pas autre chose. «De Gaulle est un écrivain. Et l'un des plus grands. C'est un monument. Personne n'a protesté quand Churchill a reçu le Nobel de littérature en 1953. Et pourtant il a écrit ses Mémoires avec un atelier de 50 nègres!», souligne-t-il à l'AFP. «De Gaulle avait rêvé lui-même du Nobel...».

«Cette polémique, c'est bien français. Les gens confondent littérature et fiction et pour beaucoup il n'y a d'écrivain que le romancier. C'est ce que j'appellerais la tyrannie du roman», poursuit-il.

«De Gaulle n'est pas un historien. Ses Mémoires, c'est l'oeuvre d'un grand mémorialiste et d'un écrivain. Il y a des tas de passages qui peuvent faire l'objet d'études littéraires, en établissant des liens avec Hugo, Barrès, Péguy ou les humanités grecques», estime Pierre Assouline.

Le critique Bernard Pivot, très connu des Français pour avoir animé une émission de littérature à la télévision pendant 25 ans, estime aussi que «les Mémoires sont tout à fait dignes de figurer au bac littéraire. Je ne vois pas matière à scandale», confie-t-il à l'AFP.

«Les Mémoires relèvent évidemment de la littérature, par leur style très particulier, flamboyant, grand siècle, avec des mots recherchés. Des imitateurs ont d'ailleurs raillé ce style bien à lui», s'amuse-t-il.