A priori, la mode des «apéros géants» qui s'étend dans plusieurs villes de France semble constituer un sympathique clin d'oeil à une pratique conviviale bien inscrite dans les moeurs locales.

Le procédé est chaque fois le même. Un groupe est créé sur Facebook pour inviter les gens à se rendre au centre-ville à un moment donné pour boire et festoyer dans un rassemblement «spontané» de milliers de personnes.

 

Les autorités policières et politiques, plutôt dépassées par le phénomène, se montraient jusqu'ici surtout soucieuses du manque d'encadrement de ces soirées. Mais le ton a monté d'un cran la semaine dernière à la suite d'un incident tragique survenu à Nantes.

Un jeune homme de 21 ans qui rentrait chez lui après avoir participé à l'une de ces fêtes est tombé d'un pont et a succombé à ses blessures. Les analyses ont révélé qu'il était très intoxiqué par l'alcool.

Le maire de Nantes, Jean-Marc Ayrault, a déploré sa mort et demandé au gouvernement d'intervenir pour «casser la spirale» des apéros géants. «Il faut que ce processus s'arrête: c'est un peu glauque, ce n'est pas une fête. Les gens venaient pour se défoncer», a-t-il déploré.

Sous la tour Eiffel

Le ministre de l'Intérieur, Brice Hortefeux, a réagi en annonçant la tenue prochaine d'une rencontre avec les ministères, les préfets et les maires concernés pour voir comment faire face au phénomène.

Bien que certains élus appellent à l'interdiction pure et simple de ces apéros, les autorités préfectorales tentent plutôt d'en contenir les débordements en limitant ou en interdisant la consommation d'alcool.

On veut aussi rappeler aux organisateurs de ces fêtes que tout rassemblement public d'importance doit être approuvé par les autorités et s'accompagner de mesures de sécurité.

L'approche a été utilisée avec succès au Mans, où quelques centaines de personnes seulement ont convergé samedi au centre-ville pour un apéro géant où plus de 3000 participants étaient initialement attendus.

La préfecture de police de Paris, appuyée par le maire, tente d'adopter une approche similaire pour empêcher un apéro géant prévu la semaine prochaine sous la tour Eiffel.

Dans un communiqué diffusé vendredi notamment sur Facebook, la préfecture rappelle que la consommation d'alcool est interdite à cet endroit durant certaines heures et que les personnes qui organisent ce type de rassemblement sans l'aval des autorités sont passibles de six mois de prison.

La mise en garde a amené l'un des instigateurs à retirer son appel, mais d'autres groupes ont pris le relais, laissant planer l'incertitude sur la tenue, ou non, de l'événement.

Peur du désordre?

Le journaliste Claude Askolovitch, du Journal du dimanche, a reproché au gouvernement sa «peur du désordre»: «Ce qui terrifie (les autorités) dans les apéros, c'est qu'ils échappent à tout contrôle. On est ici hors cadre, dans une invention des gens eux-mêmes. Une auto-organisation de masses festives qui se réapproprient et les rues et la fête, on n'en a pas si souvent l'occasion.»

La sociologue Monique Dagnaud juge quant à elle que les apéros géants, «loin d'être associés à une idéologie ou une vision politique», s'apparentent à une «affirmation collective de la jeunesse».

«Alors que les parents, il y a 30 ou 40 ans, s'emparaient de la rue pour changer le monde, les adolescents et postadolescents se contentent de rappeler, par une effervescence ludique, leur existence au monde adulte», relève l'analyste.