L'appel à la guerre sainte, le jihad, de Mouammar Kadhafi à l'encontre de la Suisse a laissé vendredi les musulmans établis dans la Confédération de marbre, estimant qu'ils n'avaient pas à subir les conséquences du courroux du leader libyen.

«La colère le rend hystérique. Il n'a absolument aucune crédibilité dans cet appel puisqu'il ne représente pas plus que lui-même, pas même son peuple», a tranché Hafid Ouardiri, ancien porte-parole de la mosquée de Genève.

Les quelque 400 000 musulmans vivant dans la Confédération - principalement originaires des Balkans, de Turquie et d'Afrique du nord - n'ont pas adhéré au discours enflammé du numéro un libyen, se disant bien intégrés dans le pays malgré le récent vote populaire interdisant la construction de minarets.

Dans un récent développement du contentieux entre Berne et Tripoli, Mouammar Kadhafi a appelé jeudi au jihad contre la Suisse, arguant du référendum de novembre 2009 contre les minarets et qualifiant la Confédération de «mécréante» et «apostate».

Ces propos «ne nous ont pas choqué, puisqu'il raconte souvent des choses insensées», a quant à lui affirmé Yasar Özdemir, membre de la Fédération des associations musulmanes de Suisse, dont le siège est à Zurich.

M. Kadhafi «est un leader politique, pas un leader religieux. Il ne dispose d'aucune autorité pour appeler au jihad», a renchéri le porte-parole du Conseil central islamique suisse (CCIS) de Berne.

Le porte-parole du CCIS s'en est également pris aux remarques de M. Kadhafi, qui a estimé que tout musulman traitant avec la Suisse était un «infidèle».

«Cela équivaudrait à une excommunication, ce qui est théologiquement absurde», a-t-il souligné à l'AFP.

Les relations entre Tripoli et Berne se sont détériorées après l'interpellation en juillet 2008 à Genève d'un fils du colonel Kadhafi, Hannibal, sur une plainte de deux domestiques l'accusant de mauvais traitements.

En mesure de rétorsion, les autorités libyennes avaient peu après arrêté deux hommes d'affaires suisses, qui ont été jugés pour «séjour illégal» et «exercice d'activités économiques illégales».

L'un d'eux, Max Göldi, purge en Libye une peine de quatre mois de prison, tandis que l'autre, Rachid Hamdani est rentré mardi soir en Suisse.

«On est dans des combats qui se sont portés sur le symbolique, sur l'international, qui peuvent être récupérés et instrumentalisés et qui passent largement au dessus des têtes des populations musulmanes en Suisse», a analysé Patrick Haenni, du Groupe de recherche sur l'islam en Suisse et auteur du livre «Les minarets de la discorde».

Pour le chercheur, les tensions entre la Libye et la Confédération «sont déconnectées, au-dessus des populations musulmanes» du pays.

Ce qui n'empêche pas les musulmans de Suisse de craindre les répercussions de cette poussée de fièvre.

«Ce genre de discours ne nous facilite pas la tâche parce qu'on est pris en otage entre deux types de discours: le discours populiste extrême qu'il y a ici» et les propos de M. Kadhafi, a averti M. Ouardiri.

Sa rhétorique belliqueuse «renforce justement les discours xénophobes qu'entretiennent certains extrémistes ici en Suisse», a-t-il souligné.

Vendredi, jour de prière, l'appel au jihad n'a même pas été évoqué dans les mosquées suisses par les imams, a d'ailleurs fait remarquer M. Özdemir, pour qui le colonel libyen est un homme «puissant et riche, ce qui ne colle pas du tout avec les préceptes de l'islam».