Les dirigeants civils et militaires turcs se sont engagés jeudi à régler dans le cadre des lois et de la Constitution la crise née de l'arrestation de nombreux militaires soupçonnés d'avoir voulu comploter en 2003 contre le gouvernement islamo-conservateur.

«Les citoyens doivent être convaincus que les questions d'actualité seront réglées dans un cadre constitutionnel et en vertu des lois», indique un communiqué de la présidence turque publié au terme d'une réunion d'urgence entre le président Abdullah G-l, le premier ministre Recep Tayyip Erdogan et le chef de l'état-major de l'armée, le général Ilker Basbug.

Les parties ont souligné «la nécessité pour tous d'agir avec responsabilité afin de ne pas affaiblir les institutions (civiles et militaires) au cours de ce processus», selon le texte.

À l'issue de la réunion, M. Erdogan n'a pas caché sa satisfaction, disant que l'entretien s'était «très bien passé».

Néanmoins, certains observateurs estimaient que les termes vagues employés dans le communiqué laissaient penser que les tensions entre la hiérarchie militaire, l'un des piliers du régime laïc, et le gouvernement ne semblaient pas pour l'heure surmontées même s'il y a une volonté d'apaisement.

«La crise a été surmontée pour l'instant, mais comme il s'agit d'un problème systémique, une nouvelle crise pourrait surgir pour une autre raison», a estimé Soli Özel, de l'Université Bilgi d'Istanbul.

Selon cet universitaire, «le rôle de l'armée est en train d'être redéfini».

Des procureurs d'Istanbul qui instruisent plusieurs dossiers de conspiration visant à renverser le gouvernement du Parti de la justice et du développement (AKP, issu de la mouvance islamiste), qui dirige le pays depuis 2002, ont procédé lundi à un coup de filet inédit contre l'élite militaire.

Cette rafle a visé 49 officiers suspectés d'avoir imaginé, en 2003, une opération de déstabilisation de l'AKP.

Depuis, dans le cadre de cette procédure entamée après qu'un journal eut révélé en janvier le plan présumé de conspiration, un tribunal d'Istanbul a inculpé et ordonné l'incarcération de vingt officiers supérieurs d'active et à la retraite.

Douze autres suspects ont été relâchés.

L'ex-chef de l'armée de l'air Ibrahim Firtina, Özden Ornek, ex-commandant de la marine, et Ergin Saygun, ex-numéro 2 de l'état-major des armées, étaient encore interrogés jeudi.

L'état-major a réagi mardi en qualifiant la situation de «sérieuse». Le général Basbug a récemment affirmé que le temps des coups d'État était révolu en Turquie.

«Tant que les fonctions des institutions ne sont pas bien établies, nous verrons d'autres confrontations,» a commenté le politologue Dogu Ergil à l'AFP.

Pour cet analyste, l'armée n'a maintenant plus grand chose à faire en signe de protestation, si l'on exclut un putsch ou une démission en bloc de l'état-major. «Je pense que (les militaires) vont seulement prendre leurs distances vis-à-vis du gouvernement», a-t-il dit.

Le complot incriminé visait selon la justice à semer le chaos en Turquie par des attentats spectaculaires, l'objectif final étant une prise du pouvoir par les militaires.

L'armée a nié, dénonçant une campagne de dénigrement bâtie à partir d'un scénario de stratégie militaire interprété faussement comme les préparatifs d'un complot.

Les généraux, qui ont démis quatre gouvernements depuis 1960, ont vu leur crédibilité souffrir d'une succession d'enquêtes sur de présumés complots impliquant des militaires.

Pour les détracteurs de l'AKP, ces opérations sont orchestrées par ce parti pour affaiblir les principes de laïcité afin d'islamiser la Turquie.

Sous la pression de l'Union européenne, l'AKP a réduit le pouvoir de l'armée et renforcé celui des autorités civiles.