L'État, qui est presque toujours appelé à la rescousse lorsque des journalistes se font enlever en zone dangereuse, peut-il critiquer la manière dont travaillent les médias?

La question, qui a déjà fait l'objet de plusieurs débats dans l'Hexagone, est de nouveau d'actualité après l'enlèvement, en Afghanistan, de deux journalistes de la chaîne France 3.

 

Le reporter et son cameraman, dont les noms n'ont pas été dévoilés, ont été pris le 29 décembre alors qu'ils préparaient un reportage sur la construction d'une route dans une zone incertaine au nord-est de Kaboul.

La polémique a éclaté la semaine dernière après que la radio Europe 1 eut relaté que le président français Nicolas Sarkozy était furieux de «l'inconscience» des deux journalistes.

«C'est insupportable de voir qu'on fait courir des risques à des militaires pour aller les chercher dans une zone dangereuse où ils avaient l'interdiction d'aller», aurait-il déclaré.

Dimanche, le secrétaire général de l'Élysée, Claude Guéant, a confirmé l'agacement du président face à «l'imprudence» des journalistes. «Il leur avait été très clairement demandé de ne pas s'aventurer ainsi parce qu'il y a des risques», a indiqué ce proche collaborateur du chef d'État.

M. Guéant a déploré à cette occasion le coût associé aux efforts de libération des journalistes, en relevant qu'il atteignait déjà plus d'un million de dollars quelques jours à peine après leur enlèvement.

«Cynisme effrayant»

Les membres du syndicat des journalistes de France 3 ont qualifié «cette grave remise en cause» du travail des journalistes enlevés de «cynisme effrayant».

Une soixantaine de journalistes, dont Florence Aubenas, qui avait été enlevée en Irak en 2005, ont signé un texte d'appui dans lequel ils dénoncent les critiques gouvernementales comme une atteinte injuste à la réputation des otages. «Loin des contre-vérités et des polémiques, l'État doit assistance à tout citoyen français, fût-il journaliste», ironisent-ils.

Reporters sans frontières déplore pour sa part que le pouvoir exécutif semble s'évertuer «à faire passer les deux journalistes pour des irresponsables». «Le métier de journaliste ne se résume pas à recopier les communiquées de presse de l'armée ou de l'Élysée», souligne le président de l'organisation, Dominique Gerbaud.

La direction de France Télévisions, qui était demeurée discrète sur l'enlèvement, a fait savoir hier par communiqué qu'elle souhaitait par son silence «laisser les opérations militaires et diplomatiques en cours sur le terrain se dérouler dans les meilleures conditions possible». Un employé à Kaboul suit le dossier.

Ce n'est pas la première fois que l'État français et la communauté médiatique croisent le fer à la suite d'un enlèvement.

L'ex-président Jacques Chirac avait abordé le sujet lors de ses voeux à la presse en 2005, quelques semaines après la libération des journalistes Georges Malbrunot et Christian Chesnot, séquestrés pendant quatre mois en Irak. L'enlèvement de Mme Aubenas était survenu quelques semaines plus tard.

«Les autorités françaises déconseillent fortement l'envoi de journalistes dans ce pays», avait relevé le chef d'État en insistant sur le fait que la sécurité des correspondants de guerre ne pouvait être assurée.

Journaliste expulsée

Hier, M. Malbrunot a refusé de commenter l'affaire. «Ce n'est pas le moment de polémiquer. Ça ne peut que nuire aux otages», a-t-il déclaré.

L'État français était aussi intervenu énergiquement en 2005 pour obtenir le départ d'Irak d'une journaliste indépendante, Anne-Sophie Le Mauff, qui travaillait pour plusieurs médias européens et nord-américains, dont Radio-Canada.

L'ambassadeur français à Bagdad avait demandé par écrit à la jeune femme de quitter le pays. «Dans le cas où vous décideriez de ne pas suivre ce conseil pressant et amical, il vous faudrait assumer l'entière responsabilité de ce qui pourrait arriver, et que je ne souhaite évidemment pas», avait-il prévenu.

Les autorités irakiennes avaient subséquemment ordonné l'expulsion de la journaliste, qui s'était rabattue sur la Jordanie. Elle avait ensuite accusé les autorités françaises d'être à l'origine de la décision irakienne.