Un vieillard grabataire, affalé dans un fauteuil roulant, la bouche ouverte, les yeux fermés. C'est l'image qui a dominé la première journée du procès qui s'est ouvert hier à Munich contre John Demjanjuk, accusé de complicité dans l'extermination de 27 900 Juifs au camp nazi de Sobibor, en Pologne.

Âgé de 89 ans, souffrant de leucémie, John Demjanjuk pourrait ne pas survivre à son procès, soutient sa famille. Et si jamais il devait être reconnu coupable et condamné à perpétuité, son séjour en prison ne durerait, de toute évidence, pas bien longtemps.

Compte tenu de l'âge et de l'état de santé de l'accusé, ce procès vaut-il donc la peine? Oui, car il envoie le message que les personnes coupables de crimes contre l'humanité ne peuvent échapper à la justice, répond sans hésitation Susyn Borer, présidente du Centre commémoratif de l'Holocauste à Montréal.

John Demjanjuk a servi comme garde à Sobibor entre le printemps 1942 et l'automne 1943. Ce rôle relativement subalterne contribue à l'intérêt du procès, souligne Mme Borer. «Cela montre que même celui qui n'est qu'un rouage dans la grande chaîne du crime peut être tenu responsable pour ses actes», dit-elle, avant d'ajouter que John Demjanjuk avait la possibilité de dire non.

L'avocat de l'ancien garde de Sobibor a plutôt tenté, hier, de faire valoir que son client était lui aussi une «victime» des nazis - une argumentation qui a soulevé la consternation dans la salle d'audience bondée de journalistes et de survivants de l'Holocauste.

Né en Ukraine, John Demjanjuk était enrôlé dans l'Armée rouge quand il a été capturé par les Allemands. Il a atterri au camp de Trawniki - une ville de Pologne où les nazis transformaient des prisonniers de guerre soviétiques en instruments d'extermination.

«Demjanjuk est une victime au même titre que les prisonniers du camp, mais il est traité comme un meurtrier de masse», a plaidé son avocat Ulrich Busch.

Contrairement aux Juifs, «les gens de Trawniki étaient bien nourris, ils pouvaient quitter le camp et ils assassinaient», a rétorqué un des avocats des plaignants, Cornelius Nestler, rejetant cette analogie.

Ulrich Busch a aussi tenté de faire annuler le procès en raison de la santé défaillante de l'accusé. Mais des observateurs ont avancé l'hypothèse que l'accusé se montrait plus malade qu'il ne l'est vraiment. «C'est de la grande comédie», a jugé le directeur du Centre Simon Wiesenthal, Efraim Zurrof.

«Demjanjuk fait du théâtre», a supposé un observateur du procès, Martin Hass, qui a perdu une partie de sa famille dans les camps.

Ce n'est pas la première fois que John Demjanjuk se retrouve devant la justice. Dans les années 80, il avait été condamné comme un des bourreaux du camp de Treblinka. La sentence a été renversée en appel - il y avait eu erreur sur son identité.

Pendant de longues années, Demjanjuk a travaillé chez Ford, en Ohio, où il a vécu avec sa femme et ses enfants. Son histoire a inspiré le cinéaste Costa Gavras quand il a réalisé le film Music Box.

Quelque 250 000 Juifs ont été exterminés au camp de Sobibor. Celui-ci a été fermé à la suite d'une insurrection n'ayant laissé qu'une cinquantaine de survivants.

John Demjanjuk est probablement la dernière personne à être jugée pour sa participation à l'Holocauste.