Brixton est à Londres ce que le Bronx est à New York : un terrain miné par la violence, la pauvreté et le trafic de drogue. Or, une mini-révolution a lieu dans le légendaire quartier. Brixton est la première zone urbaine à se doter d'une monnaie parallèle : la livre de Brixton. Lui insufflera-t-elle une nouvelle vie? Instaurée depuis trois mois, la devise inspire à la fois enthousiasme et méfiance, a constaté notre correspondante.

La reine Élisabeth a disparu de la monnaie à Brixton, un quartier du sud de Londres.

Des femmes en afro, des étudiants et des jeunes couples déambulent au son de percussionnistes de musique caribéenne dans le marché bondé de la mythique Electric Avenue. Et la livre de Brixton, sur laquelle ne figure pas le visage de la reine, passe dorénavant de main en main.

 

À l'entrée du marchand de chaussures Webster's, un autocollant affiche le symbole de la nouvelle monnaie locale: «B£». «C'est une question de bon sens. C'est bon pour les petites entreprises familiales», explique Chris Webster.

Depuis son introduction le 17 septembre dernier, plus de 140 marchands locaux ont adopté la nouvelle devise, qui est à parité avec la livre sterling.

Jusqu'à présent, les résidants ont troqué l'équivalent de 40 000 livres sterling en livres de Brixton dans 8 bureaux d'échange spéciaux.

Brixton est la première zone urbaine de l'Angleterre à tenter l'expérience de la transition monétaire, un mouvement d'économie parallèle. Totnes, petite ville anglaise du Devon, a été la pionnière en 2006.

Puisque la livre de Brixton n'a aucune valeur à l'extérieur de son périmètre, son objectif premier est de stimuler l'économie locale. Les banques n'ont pas été mises dans le coup afin de forcer les consommateurs à dépenser cet argent. Par ricochet, cette monnaie rendra le secteur plus résilient face aux chocs économiques, espère Josh Ryan-Collins, un des maîtres d'oeuvre.

«Plus les relations économiques dans la communauté seront fortes, moins la prospérité de Brixton dépendra de celle du pays, soutient-il. Idéalement, cela fera diminuer l'empreinte carbone des détaillants, qui favoriseront des fournisseurs locaux.»

Changer les mentalités

Les anciens résidants qui ornent les billets témoignent de l'histoire riche de ce quartier défavorisé.

Olive Morris, militante originaire de la Jamaïque qui a lutté pour les droits des squatteurs et des femmes, figure sur le billet d'une livre. Elle est morte deux ans avant les émeutes raciales de 1981. Le scientifique James Lovelock, le journaliste socialiste Cyril L.R. James et le peintre Vincent Van Gogh sont également à l'honneur.

Malgré un lent embourgeoisement amorcé dans les années 90, Brixton demeure un fief du crime organisé. Depuis octobre, des policiers armés quadrillent le secteur, une mesure exceptionnelle à Londres. Cette monnaie pourrait tisser une cohésion sociale qui fait cruellement défaut, selon ses instigateurs.

Même si la plupart des commerçants rencontrés par La Presse sont favorables à la livre de Brixton, beaucoup ne sont pas encore convaincus de son impact.

«Mes affaires ne vont pas mieux depuis son introduction, explique Talent Mundy-Castle, vendeuse d'épices africaines. Si les banques ne l'acceptent pas, les gens n'en veulent pas. Ça va prendre du temps pour changer les mentalités.»

La gérante du café Lounge Bar est plus optimiste. «Environ 10% des clients paient avec la livre de Brixton, dit Clover Trenchard. Il y a même des gens qui viennent d'ailleurs pour la voir, alors c'est bon pour nous.»

Des résidants interrogés n'avaient pas encore utilisé la monnaie, faute de temps et d'information. «Je ne travaille pas à Brixton, alors c'est plus difficile. En plus, on ne peut pas se la procurer au guichet automatique. Ce n'est pas très pratique», dit une mère de famille, Lisa Wintersteiger.

Anna Donkor, de son côté, affirme qu'elle encourageait déjà les marchands de son quartier. «C'est une bonne idée, mais je crois que c'est plus une question de fierté», dit la femme de 38 ans.