En désignant un duo très discret pour la représenter, l'UE a renoncé à son ambition d'une diplomatie européenne apte à parler d'égale à égale avec les grandes puissances mondiales, laissant la direction des affaires aux grands États qui la composent.

Les chefs d'État et de gouvernement des 27 pays de l'UE ont opté pour un premier ministre belge, Herman Van Rompuy, inconnu en Europe, pour devenir le premier président du Conseil européen. Et en faveur d'une Britannique, Catherine Ashton, inconnue dans son propre pays, au poste de Haut représentant aux affaires étrangères.

Les réactions ne sont pas à la hauteur des attentes suscitées par les promoteurs du traité de Lisbonne, à commencer par celle de l'ex-président français Valéry Giscard d'Estaing qui réclamait un «George Washington européen».

Le résultat est «un objet de consternation pour ceux qui voulaient donner plus de poids à l'Europe sur la scène mondiale», jugeait vendredi le Financial Times, au diapason d'une grande partie de la presse européenne.

«L'Europe a atteint le fond (...) après avoir nommé un président faible de la Commission européenne (José Manuel Barroso), les chefs d'État ont désormais nommé un président du Conseil fade et une Haute représentante insignifiante», a estimé le chef de file des députés écologistes européens, Daniel Cohn-Bendit.

«Il poursuivent leur travail d'affaiblissement des institutions européennes», a-t-il ajouté.

Pour de nombreux diplomates, la cause est entendue: les grands États de l'UE ne voulaient pas en réalité abandonner les rênes des affaires européennes.

L'heure n'est plus à un projet fédéraliste en Europe, le rejet du projet de Constitution en 2005 en ayant sonné le glas, mais bien plutôt à un retour du pilotage de l'UE dans le giron des États nationaux, en particulier les plus grands qui disposent d'une diplomatie affirmée.

Le premier ministre belge «a été choisi pour ne faire d'ombre à personne» et parce qu'on voudrait qu'il soit un «exécutant effacé», a critiqué vendredi le leader centriste français François Bayrou.

«Sa désignation, ainsi que celle d'une personne sans expérience diplomatique aux affaires étrangères, arrangent Nicolas Sarkozy, Angela Merkel ou Gordon Brown, qui vont pouvoir continuer à donner le ton en Europe», estime un haut fonctionnaire européen.

Il s'interroge aussi sur l'opportunité de désigner une Britannique à un poste censé impulser de nouvelles initiatives en matière de politique européenne de sécurité et de défense commune, compte tenu des réticences traditionnelles du Royaume-Uni sur la question.

«Les Britanniques voulaient tuer le poste (de Haut représentant), ils ont réussi», critique une source diplomatique italienne. Rome a vu son candidat pour le poste écarté, l'ancien premier ministre Massimo D'Alema.

En procédant aux nominations prévues par le traité de Lisbonne, l'UE peut au moins se féliciter d'avoir tourné la page de dix années de contorsions douloureuses pour réformer ses institutions en les adaptant à l'arrivée de nouveaux pays.

Mais ses dirigeants n'ont guère répondu à la question de fond qui leur était posée depuis les années 1970 par Henry Kissinger: «quel numéro de téléphone pour appeler l'Europe?»

L'UE se retrouve dotée à présent d'un président de la Commission européenne, d'un président du Conseil, d'un chef de la diplomatie, et d'une présidence tournante par pays qui continuera dans certains domaines.

Invités jeudi soir à dire qui Barack Obama devrait appeler, les deux heureux élus, Herman Van Rompuy et Catherine Ashton, ont répondu par un long silence embarrassé. «J'attends avec impatience le premier coup de fil», a fini par dire le premier ministre belge.