«Qui est-ce que j'appelle, si je veux parler à L'Europe?» s'est déjà interrogé le secrétaire d'État américain Henry Kissinger. L'Europe s'apprête à lui donner la réponse. Les chefs d'État et de gouvernement y réfléchissent depuis des semaines. Réunis aujourd'hui à Bruxelles, ils nommeront un premier président stable du Conseil européen - une des instances dirigeantes de l'Union européenne - ainsi que son chef de la diplomatie. Plus qu'une personnalité identifiable, le président devra relever un défi: faire entendre la voix de l'Europe sur la scène internationale.

Q Pourquoi le choix d'un président et d'un haut représentant aux Affaires étrangères est-il si important?

R Jusqu'ici, les chefs des 27 États membres se succédaient tous les 6 mois à la tête de l'Union européenne. La présidence stable du Conseil européen doit donner plus de permanence et de visibilité à l'Union européenne. De plus, «elle lui donne un visage qui ne sera pas lié à un État», précise Frédéric Mérand, professeur de science politique à l'Université de Montréal et spécialiste de l'Europe.

 

Q Quelles vont être leurs fonctions?

R Ces deux figures sont les représentants du Conseil européen. Mais le traité de Lisbonne, signé récemment par les 27 États membres de l'Union européenne, n'est pas très clair sur leurs attributions. «C'est le président qui écrira son propre mandat en fonction de l'autonomie donnée par ses collègues, explique Frédéric Mérand. Mais comme le président et le haut représentant doivent tous deux représenter le Conseil à l'étranger, il pourrait y avoir une rivalité entre les deux postes.» Le mandat du président sera de deux ans et demi, renouvelable une fois.

Q Quels devront être les atouts du nouveau président?

R Ses compétences et son esprit de conciliation sont déterminants. Mais les chefs d'État et de gouvernement devraient nommer un président et un haut représentant ayant des orientations politiques différentes, par souci de représentativité. «Les chefs de gouvernement ne travailleront pas avec quelqu'un qui n'a pas été premier ministre comme eux, commente Frédéric Mérand.»

Q Qui sont les favoris?

R Selon certains observateurs, le premier ministre belge, Herman Van Rompuy, est le grand favori. Le chef du gouvernement des Pays-Bas, Jan Peter Balkenende, fait également parler de lui.

L'un et l'autre «ont fait leurs preuves comme conciliateurs dans des pays où cela est précieux, mais ils sont peu connus hors de l'Europe, constate Jean Grondin, professeur au département de philosophie de l'Université de Montréal spécialiste des questions européennes. Si leur politique reste trop consensuelle, on pourra reprocher à la politique européenne de manquer de mordant.»

Certains souhaiteraient voir une femme à la tête de l'institution. Vaira Vike-Freiberga, l'ancienne présidente lettone - et professeure de psychologie émérite de l'Université de Montréal -, se distingue.

Tony Blair, lui, semblait jadis favori en raison de sa forte personnalité. Mais selon Jean Grondin, sa candidature est fragilisée pour deux raisons: «Premièrement, parce qu'il vient d'un pays qui n'appartient ni à la zone euro, ni à l'espace Schengen, la zone commune sans frontières de l'Europe. Deuxièmement, parce qu'il a soutenu George W. Bush lors de la guerre en Irak.»

Q Pourquoi la nomination du président semble-t-elle si compliquée?

R «Vingt-sept pays aux orientations diverses doivent se mettre d'accord. Nul ne sait si cela sera un succès», affirme Jean Grondin. Une question persiste: le premier président du Conseil européen s'exprimera-t-il pour l'Europe? «Lorsque Obama voudra connaître le sentiment de l'Europe sur une question, téléphonera-t-il à cette personne ou à Merckel et Sarkozy? Tout le problème sera là», conclut-il.