Une lettre de condoléances adressée par Gordon Brown à la mère d'un soldat tué en Afghanistan a aggravé le divorce entre le premier ministre britannique et le groupe de médias de Rupert Murdoch, accusé de se positionner en vue d'une probable alternance.

L'affaire a débuté lundi, quand le quotidien populaire The Sun, propriété de News Corp., le groupe du magnat australien, a lancé une attaque sans précédent contre le premier ministre, lui reprochant de n'avoir aucun respect pour les soldats tombés en Afghanistan.

«Quelle putain de honte», s'est insurgé le Sun, en publiant la lettre manuscrite, ponctuée d'erreurs selon le journal, envoyée par M. Brown à Jacqui Janes, dont le fils Jamie, 20 ans, a été tué en Afghanistan en octobre.

Au fil des jours, l'ensemble de la presse, déjà peu encline à l'indulgence envers le chef du gouvernement, s'est déchaînée. «Seul Gordon Brown pourrait transformer un hommage en grossière insulte», a persiflé le Daily Mail.

M. Brown a tenté d'étouffer dans l'oeuf la polémique, en appelant Mme Janes pour mettre les «erreurs» sur le compte de son écriture difficile à déchiffrer. Mais le Sun a repris de plus belle son offensive, en publiant la transcription intégrale de cette discussion.

Sans doute conscients d'avoir trop collé à la version du Sun, les autres médias ont commencé à s'en distancier, après la conférence de presse mensuelle donnée par M. Brown.

«Je suis sensible au chagrin d'une mère. Je comprends la douleur de sa tristesse», a-t-il alors assuré, sur un ton exprimant une inhabituelle émotion.

Même s'il n'y a pas explicitement fait allusion, les observateurs ont décelé dans ses propos une référence à la mort en 2002 de sa fille Jennifer, née prématurée.

Les journalistes ont alors remarqué que M. Brown prenait le soin d'écrire en personne aux familles de soldats tués, et que si cette lettre comportait des erreurs c'est qu'il souffre de grave problèmes de vue après avoir perdu un oeil dans sa jeunesse.

«La «putain de honte» et ce qui est cynique, c'est la campagne du Sun», a tardivement protesté le Guardian (gauche).

Un sondage pour le site PoliticsHome, proche de l'opposition conservatrice, a montré que les Britanniques donnaient raison à M. Brown. 65% des électeurs interrogés estiment que le tabloïd a dépassé les bornes. 23% jugent son attitude légitime.

Le Sun, plus fort tirage du pays (2,9 millions d'exemplaires), avait lancé les hostilités fin septembre, en annonçant qu'il soutiendrait les conservateurs aux élections, au soir d'un discours très attendu de M. Brown.

Le quotidien a soutenu les travaillistes aux trois dernières élections. Or, le poids de News Corp., qui détient aussi le News of the World, le Times, le Sunday Times et la chaîne Sky, cause des cauchemars au gouvernement, donné perdant aux élections, prévues d'ici à juin 2010.

Le ministre du Commerce Peter Mandelson a donc lancé la contre-attaque cette semaine, en accusant le groupe d'avoir passé un «contrat» avec les conservateurs: «Ce que le Sun peut faire pour les conservateurs pendant l'élection est une partie du contrat et, vraisemblablement, ce que les conservateurs peuvent faire pour (News Corp.) s'ils sont élus est l'autre partie du marché».

Même avec son issue plutôt favorable, cet épisode a surtout montré au gouvernement qu'il devait revoir sa communication pour éviter des emballements tels que celui généré par le Sun.

À cette fin, Downing Street a engagé une révision de ses relations avec les médias, et M. Mandelson, habile communicateur, pourrait bientôt être chargé de tenir une conférence de presse hebdomadaire afin d'exposer la politique gouvernementale.