Tout ne va pas si bien chez madame la marquise de Sévigné. Depuis une dizaine de jours, des squatteurs ont élu domicile dans le chic hôtel particulier désaffecté où est elle est née en 1626, place des Vosges à Paris. Le collectif Jeudi noir veut ainsi dénoncer la crise du logement en France, au grand dam de la propriétaire de l'immeuble qui n'a pas l'argent pour rénover le bâtiment.

Un hôtel particulier de 3000 m2 avec vue spectaculaire sur la place des Vosges, au coeur du chic quartier du Marais, à Paris, n'est pas tout à fait ce qui vient à l'esprit lorsqu'on parle de squat. Et pourtant.

 

Depuis une dizaine de jours, une quinzaine de membres et sympathisants du collectif Jeudi noir, qui multiplie les coups d'éclat pour dénoncer la crise du logement en France, ont élu domicile dans ce magnifique immeuble désaffecté du XVIIe siècle.

Sur la façade, une bannière signale la présence des «galériens du logement», à côté d'une plaque commémorative qui rappelle la naissance, en ces murs, de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné.

«C'est absolument magnifique, tout ça. Mais tous les travaux d'aménagement sont bloqués faute de moyens», souligne l'un des nouveaux occupants des lieux, Stéphane Roques, qui a fait visiter le bâtiment historique à La Presse.

Les fientes de pigeon dans l'un des grands appartements situés sur le devant de l'hôtel témoignent de l'abandon relatif des lieux.

La propriétaire, une femme de 87 ans dont le père était banquier, a acheté le bâtiment il y a une quarantaine d'années avant de lancer un ambitieux chantier qui n'a jamais abouti, faute de moyens. Elle est aujourd'hui sous tutelle. 

Des membres du collectif avaient découvert l'immeuble en mai et s'y sont intéressés de plus près lorsqu'il est devenu évident qu'ils devraient bientôt évacuer un autre bâtiment occupé depuis des mois. «En passant la porte cochère, qui n'était retenue que par un linteau glissant, nous avons été stupéfaits de tomber sur ce truc», souligne M. Roques en montrant l'immense cour intérieure.

La plupart des occupants sont des étudiants ou des travailleurs autonomes à faible revenu qui sont incapables de faire face aux loyers pratiqués dans la capitale ou de répondre aux garanties qu'exigent les propriétaires avant de signer un bail en bonne et due forme.«Quand un propriétaire apprend que je travaille à contrat, c'est la fin des discussions», souligne M. Roques.

Comme les autres occupants des lieux, il dort sur un matelas de mousse posé à même le sol, dans l'une des pièces de l'étage supérieur. Quelques radiateurs électriques assurent un chauffage minimal. Bien que le bâtiment soit spectaculaire, la vie quotidienne n'a rien d'une partie de plaisir, souligne Laetitia, une jeune femme sans emploi de 28 ans qui dit vivre avec 400 par mois (environ 630$). Impossible avec cette somme de trouver un appartement digne de ce nom, indique la diplômée en gestion de ressources humaines. «J'espère que nous allons pouvoir rester ici au moins jusqu'à l'été prochain. Ce serait pénible d'avoir à bouger avant», souligne-t-elle.

La loi assure une certaine protection aux occupants de l'hôtel puisqu'il est interdit d'évacuer manu militari les occupants d'un immeuble abandonné après les premiers jours d'occupation. Pour obtenir l'autorisation de procéder, il faut s'adresser au tribunal. Le recours à la manière forte est d'autant plus improbable dans le cas présent que la loi interdit toute expulsion hivernale en France, et ce, jusqu'au 15 mars. L'avocat de la propriétaire, qui a porté plainte pour «violation de domicile», a déclaré la semaine dernière au quotidien Le Monde qu'il n'était pas normal que sa cliente soit appelée à «supporter le poids de la crise du logement». 

Jeudi noir cherche, en répétant ce type d'opération, à attirer l'attention sur le fait qu'il y a à Paris des dizaines de milliers d'appartement vides, explique l'un des dirigeants du collectif, Julien Bayou.

Les propriétaires manquent de moyens pour les entretenir ou rechignent à louer et se montrent insensibles à la taxe sur les immeubles inoccupés, beaucoup trop faible au dire du porte-parole. La rareté de l'offre rend les loyers inabordables pour les ménages à faible revenu, en particulier pour les étudiants. «Lorsqu'on intervient comme on l'a fait à la place des Vosges, ça fait souvent bouger les choses. Dès qu'on entre, il est question de travaux», ironise-t-il.