Un gigantesque escalier qui réunirait Est et Ouest, au coeur d'une métropole de six millions d'habitants rivale de Paris et Londres... Vingt ans après l'ouverture du Mur, ces rêves se sont évanouis, mais les 3,4 millions de Berlinois habitent une capitale pas encore comme les autres.

Après l'ouverture des premières brèches, le 9 novembre 1989, «rien n'était prêt, mais il y avait une euphorie incroyable», se souvient Christoph Wessling, urbaniste et architecte berlinois.

«Les urbanistes prévoyaient un grand boom, Berlin devait revenir au niveau de Paris et Londres», à son âge d'or des années 1920.

La ville décide de projets gigantesques et l'ancien no-man's land créé par le Mur devient le terrain de jeu des architectes du monde entier.

La Potsdamer Platz, en plein centre, a été métamorphosée. Ce carrefour, l'un des plus importants d'Europe au début du XXe siècle au point qu'on y inventa le feu tricolore, n'était plus qu'un terrain vague coupé en deux par le Mur.

Il a retrouvé un visage, mélange de futurisme et de bâtiments en terre cuite, sous la direction de l'Italien Renzo Piano.

Cas unique parmi les grandes métropoles, Berlin a dû résorber l'ancienne frontière, un couloir vide de plus de 150 kilomètres de long. «Après la Guerre et le Mur, les Berlinois avaient une très forte envie de normalité», explique l'urbaniste.

Le bâtiment-mur géant de l'Américain Daniel Libeskind, ou l'escalier de son compatriote Robert Venturi, qui devait enjamber la Porte de Brandebourg, sont donc restés dans les cartons.

Des ponts ont été reconstruits, les lignes de métro, sectionnées 28 ans plus tôt, réunies, et les rues ouvertes.

Pour les 7,5 millions de touristes que reçoit Berlin chaque année, la recherche du Mur tient du jeu de piste. «À de nombreux endroits, même les Berlinois ne se rappellent plus où il passait», constate M. Wessling.

À Checkpoint Charlie, point de passage symbole de la Guerre froide à Berlin, indiqué dans tous les guides touristiques, «il n'y a plus rien à voir», sinon «deux petits baraquements kitsch au milieu de la rue», poursuit-il.

L'Ouest a même mis une énergie jugée suspecte par certains à se débarrasser d'emblèmes de l'Est, notamment le Palais de la République, siège du Parlement.

Dernière grande réalisation, Hauptbahnhof, la gare centrale, et sa verrière de 320 mètres de long, non loin du quartier gouvernemental et de la chancellerie qu'il fallu construire pour transférer la capitale de Bonn à Berlin.

La gare est toujours cernée de pelouses et d'un terrain vague, signe que «Berlin est encore plein d'endroits laids, inachevés ou vides», relève Guido Fassbender, commissaire d'une exposition sur ces transformations.

Ces projets «coûtent encore très cher» à la ville, explique M. Wessling. Elle traîne aujourd'hui un boulet d'environ 60 milliards d'euros de dettes.

Les immeubles de l'Est, certains sans sanitaires et chauffés au lignite, parfois insalubres, ont été rénovés. Avec des perdants: dans les quartiers de Mitte ou de Prenzlauer Berg, «les loyers ont grimpé en flèche, et 80% de la population a changé».

Des jeunes de classe aisée se sont installés dans des rues où se bousculent magasins de créateurs, galeries d'art et studios de yoga.

À l'Ouest, dans des quartiers comme Kreuzberg, «les immigrés ont été repoussés plus loin par l'embourgeoisement», souligne Hartmut Häussermann, sociologue à l'université Humboldt.

Aujourd'hui, «la frontière est-ouest a disparu», estime-t-il. «Elle passe entre les riches et les pauvres».

Vingt ans après, Berlin semble avoir tourné la page de l'audace architecturale, souligne-t-il. Au point que le maire de la capitale, Klaus Wowereit, reconnaisait récemment: «Au niveau de l'architecture, ce qui se passe à Berlin frise maintenant l'ennui».