Sauf exception, les mémoires d'anciens présidents ou grands dirigeants politiques sont une illustration parfaite de mauvaise foi, s'agissant principalement de leur action publique, jugée sans reproche. Et une occasion en or de régler des comptes personnels.

Pure coïncidence dans le calendrier, le premier tome des souvenirs de celui qui fut ministre dès 1967 et, par la suite, tout-puissant maire de Paris de 1977 à 1995, sort aujourd'hui en librairie - le lendemain du jour où le procureur de Paris a confirmé le renvoi de l'ancien chef d'État devant les tribunaux.

Mais, à quelques jours de ses 77 ans, devenu un sympathique père de la Nation défenseur de nobles causes comme l'Environnement, Jacques Chirac a la mémoire sélective. Il a tout oublié des innombrables affaires politico-financières qui ont émaillé sa longue carrière et qui ont valu de lourdes condamnations à son ancien premier ministre Alain Juppé ainsi que, tout récemment encore, une peine d'un an de prison ferme à son ancien conseiller et ministre de l'Intérieur Charles Pasqua.

La «Chiraquie», notamment à l'époque de la mairie de Paris, avait réussi à accumuler un lot de malversations et de combines qui dépassaient largement la moyenne française, pourtant déjà impressionnante. Pas un mot là-dessus dans ce gros livre de 500 pages qui s'arrête en mai 1995, le jour où ce grand et vigoureux ambitieux réalise, après deux échecs humiliants, son rêve de devenir président de la République.

Dans cet exercice d'autoglorification parfois intéressant, on ne trouvera pas la version originale de tous les combats souterrains, complots et règlements de comptes qui ont parsemé la vie politique française depuis une trentaine d'années. Notamment au sein de la droite. Comment un certain Chirac, en 1974, a «trahi» le gaullisme et son candidat pour rallier dans son propre intérêt la candidature de Giscard d'Estaing. Comment, en 1981, le même Chirac sabota la campagne de Giscard et favorisa la victoire du socialiste Mitterrand.

Comme tous les anciens présidents, Jacques Chirac arrange l'histoire à son gré. Il n'en reste pas moins quelques détails croustillants de cette longue saga et des portraits quelque peu assassins. On y constate sans surprise que le président Giscard d'Estaing, de 1974 à 1976, traite avec un mépris tout aristocratique son premier ministre Chirac.

Invités dans une résidence présidentielle pour un week-end de réconciliation en mai 1976, les Chirac sont installés à table sur de petites chaises tandis que les Giscard ont droit à des fauteuils. Pour compléter le plan de table, Giscard a invité... son moniteur de ski et sa femme.

Dans cette galerie de portraits souvent instructifs, celui qui en ressort grandi s'appelle François Mitterrand. Adversaire impitoyable, certes, mais dont la subtilité pousse aujourd'hui Chirac à lui tirer son chapeau : «Salut l'artiste !» Avec cette autre raison : comme Jacques Chirac lui-même, François Mitterrand, loin des salons bourgeois parisiens, aimait la France. La France profonde.

Chaque pas doit être un but, Nil Éditions, 2009, 500 pages.