Trois fois par semaine, Moukhabad prend des cours du soir pour améliorer son russe et connaître ses droits dans un pays, la Russie, où les immigrés sont souvent la cible de violences et discriminations.

«Je voudrais travailler comme coiffeuse, j'ai besoin de mieux parler russe», explique dans un russe encore hésitant la jeune femme, 35 ans, arrivée il y a quelques mois d'Ouzbékistan (ex-république soviétique d'Asie Centrale) à Saint-Pétersbourg. Assise dans une classe d'un lycée professionnel, Moukhabad écoute attentivement, en compagnie de quatre autres «élèves», un cours de phonétique russe.

«Depuis que j'ai commencé ces cours, je suis plus sûre de moi, je n'ai plus peur de parler dans les magasins ou ailleurs», concède la jeune immigrée ouzbèke.

«La plupart des migrants, surtout les moins de 35 ans - scolarisés après la chute de l'URSS - ne parlent presque pas russe. Leur vocabulaire est pauvre, ils sont difficiles à comprendre», constate Irina Chichova, qui dirige cette école pour étrangers.

«Ils sont absolument sans défense, notamment face aux flics qui en profitent (pour leur extorquer de l'argent, ndlr). Outre les leçons de russe, on les informe sur leur droits et on leur explique comment répondre aux questions de la police», raconte Mme Chichova.

Parmi d'autres, l'organisation de défense des droits de l'Homme Human Rights Watch (HRW) a dénoncé en février la condition des immigrés en Russie, souvent victimes d'employeurs peu scrupuleux, d'intimidations et de violences.

Près d'un million d'immigrés, notamment d'ex-républiques soviétiques d'Asie centrale (Tadjikistan, Kirghizstan, Ouzbékistan), vivent à Saint-Pétersbourg, ancienne capitale impériale et deuxième ville de Russie, soit un habitant sur cinq, selon des estimations.

Ils sont employés sur les chantiers de construction, dans les supermarchés ou au volant des «marchroutkas» (taxis collectifs). Afin d'envoyer le maximum d'économies au pays, ils travaillent douze heures par jour et partagent souvent à dix de modestes chambres.

«Les travailleurs immigrés sont dépendants d'employeurs qui ne sont pas toujours honnêtes. Il est très facile de ne pas les payer. Où va aller se plaindre dans ce cas un Tadjik ou un Ouzbek ? À la police ?», lance Chavkat Ismaïlov, 43 ans, ressortissant du Tadjikistan.

«Chaque rencontre avec un flic coûte de 100 à 500 roubles (deux à 12 euros)», une somme pour de petits salaires, raconte-t-il. «La police peut toujours trouver la petite bête dans les papiers d'un immigré, surtout s'il ne comprend rien en russe», affirme M. Ismaïlov.

«Même moi je préfère ne pas me balader dans le centre-ville où il y a toujours beaucoup de flics», raconte cet ex-enseignant en économie, aujourd'hui ouvrier dans une imprimerie.

«J'étais sûr que des employeurs (notamment dans les transports, ndlr) s'intéresseraient à notre initiative et que nous aurions des centaines d'élèves, mais je me suis trompée», constate, amère, Mme Chichova.

Selon elle, seuls quelques dizaines d'immigrés ont terminé un cursus depuis le mois de mai et le groupe actuel ne compte que cinq personnes, qui ont payé de leur poche la formation.

«Il n'y a d'intérêt ni du côté des structures de l'immigration, ni de celui des employeurs. Et pour des migrants qui cherchent un boulot, 5.000 roubles (110 euros environ) pour deux mois de cours c'est beaucoup», explique-t-elle.

«Les patrons n'ont pas besoin d'employés qui connaissent leur droits et parlent bien russe», conclut, plus cynique, Chavkat Ismaïlov.