Le président français Nicolas Sarkozy a réclamé mardi la vérité sur l'affaire des moines de Tibéhirine à la suite d'une déposition mettant en cause l'armée algérienne, 13 ans après leur mort officiellement imputée à un groupe islamiste.

M. Sarkozy a exhorté l'Algérie à collaborer, affirmant que «les relations entre les grands pays s'établissent sur la vérité et non pas sur le mensonge». Il a aussi annoncé qu'il lèverait le secret défense «sur tout document que nous demandera la justice», car «il n'y a rien à cacher». Les magistrats français, qui instruisent ce dossier depuis 2004, «continueront de disposer de tous les moyens pour mener à bien leur enquête, y compris en matière de coopération internationale», a promis de son côté la ministre de la Justice, Michèle Alliot-Marie.

Le GIÀ (Groupe islamique armé) qui avait promis de faire la guerre à la France et commis une série d'attentats sur son territoire en 1995, avait revendiqué le 26 avril 1996 l'enlèvement des sept religieux et proposé de les échanger contre ses militants détenus. Le 23 mai, l'organisation annonçait avoir décapité les captifs en accusant le gouvernement français d'avoir «trahi» les négociations. Leurs têtes avaient été découvertes le 30.

Alger a toujours dénoncé une action des djihadistes, mais des thèses incriminant l'armée algérienne ou un groupe du GIÀ manipulé par les autorités ont vite circulé.

C'est la récente déposition du général à la retraite François Buchwalter, ancien attaché de Défense français à Alger, devant le juge antiterroriste chargé de l'enquête qui a relancé le dossier.

Selon l'officier, qui dit tenir ses informations d'un militaire algérien, lequel les aurait lui-même obtenues de son frère, également militaire dans l'armée algérienne, les moines cisterciens ont été tués par des tirs d'hélicoptères militaires algériens qui avaient ouvert le feu sur ce qui semblait être un bivouac de djihadistes.

L'officier, qui n'identifie pas son informateur algérien, assure avoir informé les autorités françaises: le chef d'état-major des armées et l'ambassadeur. Selon lui, «il n'y a pas eu de suite, ils ont observé le 'black-out' demandé par l'ambassadeur».

Une déposition qui prouverait, selon l'avocat des parties civiles, Patrick Baudouin, qu'il y a eu «dissimulation» des autorités françaises et algériennes.

François Buchwalter a aussi indirectement mis en cause les autorités algériennes dans l'assassinat de l'évêque d'Oran, Mgr Pierre Claverie, tué le 1er août suivant par une charge explosive, juste après avoir rencontré le chef de la diplomatie française Hervé de Charette.

Selon l'officier, cité par des sources proches du dossier, Mgr Claverie «pensait à l'implication du pouvoir algérien» dans la mort des moines.

L'ancien juge anti-terroriste et ex-député de droite Alain Marsaud a estimé mardi que l'affaire de Tibéhirine avait été «enterrée volontairement». Il a assuré avoir demandé sans succès l'ouverture d'une information judiciaire après avoir reçu dès 1996 des informations sur une possible implication des services algériens ou de l'armée algérienne.

Alain Juppé comme Hervé de Charette, à l'époque respectivement premier ministre et chef de la diplomatie, ont pour leur part assuré n'avoir rien su d'une éventuelle «bavure».

Dans les années 1990, une trentaine de Français, sur une centaine d'étrangers, ont été assassinés en Algérie dans des actes attribués à des des groupes armés islamistes.

Le dernier rebondissement dans l'affaire Tibéhirine intervient alors que les relations entre la France et l'Algérie, marquées par la colonisation et la guerre d'indépendance, sont toujours difficiles.

Depuis l'élection de M. Sarkozy, qui se refuse à toute idée de «repentance», une visite d'État en France du président algérien Abdelaziz Bouteflika est ainsi sans cesse repoussée.