Les dirigeants turcs ont tenté vendredi à Bruxelles de relancer leurs laborieuses négociations d'adhésion à l'UE, face à l'opposition ouverte de plusieurs pays déjà membres et alors que se profile une nouvelle épreuve entre Ankara et l'Europe sur Chypre.

«Aucun autre pays candidat n'a subi ce traitement», a déploré à propos de la lenteur des négociations le chef du gouvernement turc Recep Tayyip Erdogan, venu en compagnie de deux de ses principaux ministres impliqués dans les discussions avec Bruxelles.

«Cette situation anormale doit changer», a-t-il ajouté. «Certains pays ont adopté une attitude politique dans le processus de négociation et leurs efforts pour ralentir les choses nous attristent», a-t-il déclaré à des journalistes, dans une allusion à la République de Chypre, la France ou l'Allemagne.

La Turquie a entamé en octobre 2005 des négociations en vue de son adhésion à l'UE. Depuis, elle n'a pu ouvrir que 10 «chapitres» thématiques sur les 35 qui jalonnent le parcours vers l'adhésion.

Les pays de l'UE doivent en principe accepter d'en ouvrir un onzième, sur la fiscalité, mardi à Bruxelles. Et le commissaire européen à l'Elargissement Olli Rehn s'est dit vendredi favorable à l'ouverture d'un douzième chapitre au second semestre, qui verra la Suède, favorable à l'entrée de la Turquie, présider l'UE.

Huit chapitres sont gelés depuis décembre 2006 en raison du refus de la Turquie d'autoriser la République de Chypre à accéder à ses ports et aéroports.

La France, de son côté, a bloqué l'ouverture de cinq chapitres qui à ses yeux conduiraient directement à l'adhésion, perspective que son président  Nicolas Sarkozy refuse, à l'instar de la chancelière allemande Angela Merkel.

Pour la Turquie, l'objectif est désormais double. Il s'agit d'une part de reprendre l'initiative après les récentes élections européennes au cours desquelles les opposants les plus résolus à l'entrée du pays dans l'UE ont donné de la voix. Avec un succès certain dans les urnes.

«Certains hommes politiques à l'esprit étroit ont utilisé la Turquie à des fins électorales, nous pensons que c'est populiste et erroné», a jugé M. Erdogan.

Il a de nouveau refusé catégoriquement le «partenariat privilégié» avec l'UE que lui ont offert comme alternative à l'adhésion Paris et Berlin. «Nous ne voulons rien de moins que l'adhésion pleine et entière», a-t-il dit.

L'autre objectif pour la Turquie est de se préparer à une échéance délicate avec l'Europe. L'UE lui a en principe donné jusqu'à la fin de l'année pour ouvrir ses portes aux avions et navires de la République de Chypre, mais Ankara ne paraît nullement prête à céder.

L'UE prendra-t-elle alors le risque d'appuyer sur le «bouton nucléaire» en suspendant les négociations d'adhésion?

 «Je ne pense pas que quiconque du côté de l'UE ait intérêt à dramatiser» en allant à la confrontation, estime Antonio Missiroli, chercheur au European Policy Center de Bruxelles. «Le plus probable serait un ralentissement des négociations», qui ensablerait un peu plus le processus, ajoute-t-il.

Ankara dispose de son côté d'un moyen de pression potentiel important: le projet de gazoduc Nabucco qui doit, via la Turquie, approvisionner directement l'Europe depuis l'Asie centrale en réduisant la dépendance de l'UE à l'égard de la Russie.

M. Erdogan a de nouveau laissé planer l'incertitude vendredi sur son soutien au projet, faute de progrès dans les négociations d'adhésion à l'UE. En matière d'énergie, il a dénoncé «l'approche unilatérale» de l'Europe qui attend tout d'Ankara sans rien vouloir lui donner en retour.