Quelque chose ne tourne pas rond à Corby, ancienne ville industrielle britannique. Entre 1985 et 1999, des dizaines d'enfants sont nés avec des mains et des pieds difformes. Hasard ? Ou conséquence de la poussière toxique qu'a respirée leur mère? Une vingtaine de jeunes poursuivent la municipalité dans un procès qui pourrait passer à l'histoire.

Connor McIntyre, 12 ans, trop fier pour essuyer les railleries sans broncher, passe son temps à se battre dans les cours d'école.

 

À l'origine de son orgueil meurtri, son bras gauche, interrompu par deux petites protubérances: deux orteils qu'on a tenté en vain de lui greffer. Sa petite pince reste inanimée.

Sa mère, Susan McIntyre, est convaincue que la municipalité est responsable du handicap de Connor, né sans main gauche. Comme beaucoup d'autres parents d'enfants infirmes dans la région.

Dix-huit familles poursuivent la Ville de Corby, située à 100 km au nord de Londres. Les parents l'accusent d'avoir bâclé le réaménagement d'un ancien site de sidérurgie entre 1984 et 1997. En clair, ils la soupçonnent de ne pas avoir respecté les règles de sécurité dans le transport des matières toxiques, ce qui aurait causé les malformations de leurs enfants.

Les jeunes en question, âgés entre 9 et 22 ans, ont tous des difformités aux mains et aux pieds. Ils sont nés pendant les travaux de nettoyage du chantier, au cours desquels des camions transportaient à découvert dans les rues de Corby les déchets de métaux lourds.

Susan McIntyre grimace en décrivant la poussière nauséabonde qui se déposait chaque jour sur ses meubles. «Ces particules s'infiltraient partout. À l'extérieur, elles collaient aux roues du landau de mon fils aîné. Je devais les nettoyer chaque soir à l'eau de Javel.»

Ce cocktail toxique comprenait du zinc, du cadmium, du chrome et des dioxines, de l'aveu même de la municipalité de Corby.

Le directeur général de la mairie nie que les opérations de décontamination aient causé les malformations des plaignants. «Depuis cinq ans, nous avons soigneusement enquêté sur les cas de ces jeunes. Nous savons qu'il n'y a aucun lien entre les travaux de réaménagement et leur état de santé», a affirmé Chris Mallender au début du procès, qui s'est terminé le 7 mai à la Haute Cour de Londres au bout de 13 semaines.

De son côté, l'avocat des familles, Des Collins, a bon espoir de remporter le premier procès du genre en Grande-Bretagne. Un ancien ingénieur municipal, Mark Bosence, a confirmé en cour qu'on ne nettoyait pas les roues des camions avant qu'ils quittent le chantier. Et une experte, Louise Parker, a révélé que le taux de malformation chez les bébés de Corby était à l'époque trois fois supérieur à la moyenne de la région.

Si le jugement, attendu la semaine prochaine, leur est favorable, les familles pourront poursuivre individuellement la Ville de Corby. Des Collins espère une entente à l'amiable. «Les enfants sont fatigués de se battre. Ils veulent être entendus par la municipalité», dit l'avocat à La Presse.

Susan McIntyre veut des réponses. «Moi qui n'ai même pas pris une aspirine pendant ma grossesse, je me suis sentie coupable. On nous doit des explications.»