Les élus corrompus risquent de festoyer si le président français Nicolas Sarkozy va de l'avant avec l'abolition du poste de juge d'instruction, sorte de super magistrat chargé de traiter les dossiers les plus complexes.

C'est du moins la crainte de plusieurs ONG spécialisées qui s'inquiètent de l'impact de la réforme projetée sur l'indépendance du système judiciaire et des abus qui pourraient en découler.

 

«Le risque est grand que l'action de la justice ne soit même plus initiée dans des dossiers de corruption, de trafic d'influence ou d'abus de biens sociaux susceptibles de gêner des dirigeants politiques et économiques», déplore dans un nouveau rapport la section locale de Transparency International (TI).

Au cours des années 90, les juges d'instruction avaient semé l'émoi jusqu'aux plus hauts échelons politiques lorsqu'ils avaient mis au jour nombre d'affaires de corruption en utilisant, parfois de manière jugée abusive, les larges pouvoirs d'enquête associés à leur fonction.

C'est notamment en invoquant ces abus que le président Sarkozy a avancé, en janvier, son projet de réforme qui prévoit conférer la responsabilité de l'enquête à un procureur qui relève directement du ministère de la Justice

Cette structure risque de faciliter les cas d'ingérence puisque, en France, les procureurs n'ont pas l'indépendance des juges d'instruction face au pouvoir exécutif, souligne TI. Pour contourner le problème, l'organisme réclame qu'ils soient placés sous l'autorité d'un «procureur général de la République» élu à long terme par le Parlement.

«Il ne faut pas que le procureur soit l'homme du gouvernement», a souligné le vice-président de la section française de l'organisation, Jacques Terray, qui a cité une récente procédure intentée contre des potentats africains pour illustrer son propos.

Des associations ont tenté, à quelques reprises, d'obtenir que la justice française accepte d'ouvrir une enquête pour détournement de fonds contre trois chefs d'État qui disposent d'importantes ressources en sol français.

Dictateurs africains

Dans chaque cas, le procureur au dossier a refusé d'aller de l'avant, évitant l'ouverture d'une enquête potentiellement embarrassante pour des dirigeants «amis» de la France. Finalement, une procédure détournée a permis de saisir du dossier un juge d'instruction qui a rendu une décision favorable.

L'ex-ministre de la Justice, Robert Badinter, a récemment écrit, dans une lettre ouverte au quotidien Le Monde, que la disparition du juge d'instruction permettrait au pouvoir politique de «renforcer son emprise sur la justice pénale et les libertés individuelles».

Tous les élus «pourris»

Même son de cloche de l'ex-juge d'instruction Eva Joly, qui s'inquiète de la forte diminution du nombre d'enquêtes pour corruption en France.

«À de rares exceptions, en matière financière, il n'y a plus que des requêtes préliminaires et des dossiers bouclés qui dorment dans les tiroirs», a-t-elle dit.

Les journaux satiriques font aujourd'hui régulièrement leurs choux gras de la rapidité avec laquelle la justice française classe des plaintes touchant des élus bien placés.

L'indice de corruption produit par Transparency International, qui est basé sur des sondages d'opinion, a classé la France au 23e rang en 2008, entre le Chili et l'Uruguay.

Le problème n'est pas pour autant plus grave que dans les autres pays occidentaux, a jugé M. Terray, qui a souligné, à titre indicatif, le récent scandale des notes de frais des députés anglais.

La population française, a-t-il dit, se distingue cependant par l'indifférence qu'elle manifeste envers les élus corrompus.

«Il existe dans le pays une forte tradition antiparlementaire qui veut que tous les élus soient pourris. Quand l'un d'eux se fait prendre, les gens se disent qu'il est comme les autres et ils n'en font pas de cas», a souligné le vice-président de TI.