On aurait pu croire, en voyant les scènes d'affrontement survenues aux abords de plusieurs prisons françaises la semaine dernière, que les détenus se révoltaient. Mais les responsables des troubles étaient en fait les surveillants normalement chargés de faire régner le calme.

Pour exprimer le ras-le-bol généralisé de leurs membres face à la détérioration de leurs conditions de travail, les trois syndicats du secteur ont organisé une série de blocages qui ont rapidement tourné au face à face musclé avec les forces de l'ordre.

 

Ce fut le cas notamment à la prison de la Santé, à Paris, où des CRS ont été mobilisés pour déloger à coups de matraques un groupe de manifestants. Le visage dissimulé derrière des masques chirurgicaux, les syndicalistes tentaient de bloquer l'entrée de l'établissement de manière à empêcher la sortie de détenus attendus par les tribunaux.

Hier, le calme était revenu au sein de l'établissement, dissimulé derrière de hauts murs de pierre grisâtres dans un paisible secteur du 14e arrondissement.

«Pour l'instant, tout est normal. On verra ce que ça donne dans les mois qui viennent», a commenté brièvement le surveillant posté à la guérite d'entrée, bien protégé derrière une épaisse vitre blindée.

Une entente et le flou

«Ce sont les dirigeants syndicaux qui ont signé une entente avec le gouvernement. Nous, on est un peu dans le flou», a-t-il ajouté, en référence à un accord de principe signé hier par la ministre de la Justice, Rachida Dati, avec deux des trois syndicats engagés dans le conflit.

Cet accord prévoit la création à terme de 174 postes pour réduire la pression sur les surveillants, qui dénoncent l'impact de la surpopulation carcérale sur leur quotidien. En avril, le réseau pénitentiaire comptait 63 351 détenus, soit 13 098 de plus que sa capacité maximale théorique.

«Le compte n'y est pas du tout. L'ajout de personnel prévu dans l'entente ne fait même pas un surveillant de plus par établissement puisqu'il y en a 175 dans le pays. Ça ne va rien changer du tout», déplore en entrevue Céline Verzeletti, secrétaire générale de la CGT Pénitentiaire.

Le syndicat, qui représentent 20% des surveillants, a refusé de signer l'accord. Ses dirigeants estiment que ce n'est pas 100 mais bien 2000 postes qu'il faudrait ajouter pour parvenir à changer les choses.

En raison de la surpopulation, un employé peut être chargé de veiller sur une centaine de détenus. «On a multiplié les tâches des surveillants, de telle manière qu'ils n'arrêtent pas de courir à gauche et à droite... Ils sont stressés et énervés. Comme ils n'ont pas le temps de répondre correctement aux détenus, eux aussi sont plus énervés. Et le nombre d'agressions augmentent», souligne Mme Verzeletti.

Rats et moisissures

Depuis le début de l'année, une dizaine de surveillants se sont suicidés, ce qui témoigne éloquemment des difficultés rencontrées sur le terrain.

L'exaspération du personnel carcéral est amplifiée par le caractère vétuste des établissements qui sont, dans plusieurs cas, plus que centenaires.

«Il y a des coulées d'eau, de l'humidité, des moisissures et des rats. C'est une vraie honte de faire travailler des fonctionnaires de l'État dans de telles conditions. Tout comme c'est une honte de laisser des détenus là-dedans», souligne Mme Verzeletti, qui s'attend à de nouvelles manifestations dans un avenir rapproché.

Selon Patrick Marest, porte-parole de l'Observatoire international des prisons, les surveillants sont de plus en plus conscients que leurs propres conditions de travail sont étroitement liées aux conditions des détenus.

Malheureusement, dit-il, l'accord de principe risque d'avoir des effets négatifs sur ces derniers, notamment parce qu'il prévoit l'abolition de rondes pour prévenir les suicides.

«Au lieu de s'isoler plus encore en fermant les portes des prisons, les surveillants devraient les ouvrir toutes grandes pour interpeller l'opinion publique et les élus», suggère M. Marest.